Contexte
Alors que la République démocratique du Congo et le Rwanda s’apprêtaient à signer un accord de paix sous la médiation des États-Unis, une vidéo a été publiée sur TikTok le 29 mai montrant un avion de l’US Air Force atterrir dans un aéroport avec des militaires à son bord. La séquence est accompagnée d’un commentaire audio en lingala, affirmant qu’il s’agirait de mercenaires américains arrivant à Kinshasa pour mettre fin à la guerre dans l’est de la RDC.
Cependant, après une vérification minutieuse via Google Lens, Eleza Fact a découvert que cette vidéo a été filmée à Brazzaville, en République du Congo, et date de 1997. Par ailleurs, l’ambassade des États-Unis à Kinshasa a formellement démenti toute présence militaire américaine dans la capitale congolaise.
Son et diffusion de la vidéo
Nlandu Mazaza a partagé la vidéo, d’une durée de trois minutes, sur le compte TikTok nommé Millionaire 339, qui compte plus de 13 000 abonnés. La vidéo montre l’atterrissage d’un avion de l’US Air Force et des mouvements de militaires sur le tarmac.
Le commentaire audio affirme : « Bandeko, ba commandos américains bakomi déjà na Kinshasa. Bazwa information, côté nini bakoki ko bombarder, côté nini bakoki ko tika. Baye bazwa makambo na maboko… USA Air Force eza wana na minute oyo pona ko landela ba bangunia, koyeba nini bakoki kosala pona muyibi wana Kabila oyo aye na Goma… Vidéo oyo ezali pona Est na bino bosala na kimya na bolingi ya nzambe, mboka na bino ekobunga te na maboko na bino, ata 1m ya pamba bakozwa yango te ». Traduit en français : « Frères et sœurs, les commandos américains sont déjà arrivés à Kinshasa. Ils ont reçu des informations sur les zones à bombarder et celles à épargner. Ils détiennent désormais les choses en main… L’US Air Force est présente en ce moment même pour surveiller les mouvements ennemis, et savoir que faire concernant ce voleur Kabila qui est arrivé à Goma… Cette vidéo est destinée à vous, habitants de l'est. Restez en paix et dans l’amour de Dieu. Notre pays ne sera pas perdu d’entre nos mains. Pas même un mètre ne leur sera cédé gratuitement ».
La vidéo a dépassé les 340 000 vues, obtenu plus de 10 000 mentions J’aime, généré plus de 500 commentaires et été ajoutée à 745 favoris. En commentaire, certains internautes doutent de la véracité de l’information, la considérant comme extraite d’un film, tandis que d’autres y croient et remercient le gouvernement américain.
Un atterrissage filmé en 1997 au Brazzaville
Eleza Fact a utilisé Google Lens pour analyser des captures d’écran de la vidéo afin d’en déterminer le contexte réel. Cinq correspondances ont été trouvées sur le site web et la chaîne YouTube d’archives de l’agence de presse américaine Associated Press News (AP News), qui détient de nombreuses vidéos historiques.
Trois des vidéos ont été publiées sur le site de l’Archive AP le 22 novembre 2007 à 03h07 (archivé ici), à 3h08 (archivé ici), et le 30 septembre 2009 à 2h12 (archivé ici). Sur YouTube, la vidéo a été mise en ligne à deux reprises le 21 juillet 2015, ici (archivé ici) et ici (archivé ici).
La légende indique qu’elle a été filmée le 23 mars 1997, lorsque des parachutistes de l’armée américaine ont atterri à Brazzaville, au Congo, pour se préparer à une éventuelle évacuation de ressortissants américains et étrangers du Zaïre voisin, en pleine crise politique et militaire. Environ 100 soldats, principalement des officiers, avaient été déployés depuis l’Italie à bord d’un avion C-17. Ils rejoignaient une équipe déjà sur place pour évaluer les besoins d’un éventuel rapatriement. Cette mission, dirigée par le général Edwin P. Smith, était qualifiée de « préparatoire et non provocatrice », alors que les rebelles hostiles au régime de Mobutu Sese Seko contrôlaient une grande partie de l’est et refusaient toute négociation de cessez-le-feu. À Kinshasa, près de 500 civils américains et plusieurs milliers d’Européens, dont des Belges et des Français, étaient potentiellement concernés par une évacuation.
Dans la vidéo, on peut entendre le général Edwin P. Smith expliquer les raisons de leur présence à Brazzaville : « La raison pour laquelle nous sommes ici est la suivante : nous avons été chargés par le commandement des forces américaines en Europe de venir déployer ce que nous appelons des forces de facilitation, c'est-à-dire des éléments de quartier général et des éléments de soutien, afin de poursuivre l'évaluation qui est en cours ici depuis quelques jours et de procéder à une planification prudente concernant la manière dont les forces américaines pourraient être utilisées correctement si le besoin s'en faisait sentir en cas de détérioration de la situation et d'une menace ».
Plusieurs sources fiables américaines, comme le New York Times (archivé ici), le Los Angeles Times (archivé ici), South Coast Today (archivé ici) et le Département de la Défense des États-Unis (archivé ici), ont documenté ce programme d’évacuation de ressortissants américains et européens du Zaïre (actuelle RDC).
Par ailleurs, à l’observation de la vidéo, on constate que l’aéroport visible est très différent de celui de Ndjili à Kinshasa. La qualité de l’image, très dégradée, confirme également son ancienneté.
L’ambassade des USA à Kinshasa dément²
Contactée par Eleza Fact, Monica Shie, conseillère en communication à l’ambassade des États-Unis à Kinshasa, a déclaré que l’information est fausse. « Fake », a-t-elle précisé à Eleza Fact.
En outre, une consultation des canaux officiels d’information des gouvernements américain et congolais n’a révélé aucune trace d’une présence militaire américaine actuelle en RDC pour combattre l’AFC/M23.
Conclusion
La vidéo prétendant montrer l’arrivée de militaires américains à Kinshasa pour affronter l’AFC/M23 dans l’est de la RDC a été vérifiée par Eleza Fact grâce à Google Lens. L’analyse révèle qu’elle date en réalité du 23 mars 1997, lors du déploiement de troupes américaines à Brazzaville en vue d’une évacuation préventive de leurs ressortissants. Cette vidéo, sortie de son contexte, est un vecteur de désinformation et peut contribuer à alimenter les tensions dans les zones affectées par le conflit en RDC.