Contexte
Lors de la visite du président sud-africain Cyril Ramaphosa à la Maison-Blanche, le mercredi 21 mai dernier, le président américain Donald Trump a tenu une réunion bilatérale avec son homologue sud-africain dans le Bureau ovale. Cette conférence, que Trump semblait avoir préparée comme une offensive à l’encontre de Ramaphosa, visait à présenter ce qu’il a qualifié de preuves de génocide contre les populations blanches vivant en Afrique du Sud.
Au cours des échanges, Trump a exprimé ses préoccupations concernant le traitement réservé aux Blancs en Afrique du Sud. Il a notamment diffusé une vidéo et exhibé une pile d’articles imprimés qu’il a décrits comme des preuves irréfutables à l’appui de ses accusations de génocide.
Parmi ces documents figurait un article illustré d’une image montrant des individus vêtus de blanc, arborant le logo de la Croix-Rouge, en train de préparer l’inhumation de plusieurs corps sans vie. Selon Trump, cette scène représentait l’enterrement de fermiers blancs victimes de massacres en Afrique du Sud.
Or, après vérification, l’équipe de Eleza Fact a retracé l’origine de cette image à l’aide de Google Lens et une géolocalisation par Google Earth de la place à laquelle l'image a été prise. Il s’est avéré que la photo n’avait aucun lien avec les prétendus massacres de fermiers blancs en Afrique du Sud, mais documentait en réalité la situation sécuritaire à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo.
Image et déclarations de Trump
La réunion bilatérale entière de Trump et Ramaphosa a été posté sur le site web de la Maison-Blanche (archivé ici). À la 28e minute et 27 seconde de la vidéo postée sur le site de la Maison-Blanche, Trump expose un article illustré d’une image montrant des individus vêtus des imperméables blancs, arborant le logo de la Croix-Rouge, en train de préparer l’inhumation de plusieurs corps sans vie.
Juste avant que Trump brandisse cet article imprimé, une journaliste demande : “President, when will you go and see for yourself that it isn’t genocide ?”, traduit en français par : « Président, quand irez-vous constater par vous-même qu'il ne s'agit pas d'un génocide ? ». “Well, I can do that. Look, here is burial sites all over the place. These are all white farmers that are being buried.” Traduit en français par : « Eh bien, je peux le faire. Regardez, il y a des sites funéraires un peu partout. Ce sont tous des fermiers blancs qui sont enterrés », répond Donald Trump, brandissant l’article cité ci-haut.
Image montrant Trump brandir l’article lors de sa déclaration faisant référence à l’enterrement des fermiers blancs en Afrique du Sud, source : AFP.
Origine de l’image présente dans l’article brandi par Trump
Eleza Fact a identifié un logo dans le coin inférieur gauche de l’image visible sur l’article brandi par Trump, il s’agit de celui du média WION. WION est un acronyme de World Is One News, une chaîne d'information internationale en langue anglaise basée en Inde. Lancée le 15 août 2016, elle appartient au groupe Essel et fait partie du réseau Zee Media. Son siège est situé à Noida, près de New Delhi.
En soumettant l’image à l’analyse de Google Lens, nous avons pu remonter à des correspondances antérieures, qui nous permettent de localiser l’image de l’illustration de l’article à Goma dans l’est de la République démocratique du Congo et non en Afrique du Sud, encore moins faisant référence à un génocide blanc.
L’image est en réalité une capture d’écran, extraite d'une vidéo diffusée le 7 février 2025 sur la chaîne YouTube du média WION (archivé ici) d’où l’apparition du logo dans le coin inférieur gauche de l’image visible sur l’article brandi par Trump. Le titre que porte la vidéo précise : « DR Congo: Report - 100 women raped, burnt alive during mass jailbreak in Goma », faisant référence à une tragédie survenue à Goma, lors du chaos survenu à Goma, alors que l’AFC/M23 s’apprêtait à prendre d’assaut la ville, en fin janvier 2025.
De plus, une analyse minutieuse de la séquence vidéo publiée par la Maison Blanche nous a permis d’identifier l’article que brandi Trump. En effet, il s’agit de l’article du média américain American Thinker (archivé ici), qui explore l’idée selon laquelle, bien que les humains soient naturellement tribaux, la fondation de l’Amérique sur des valeurs communes plutôt que sur des liens ethniques ou historiques en faisait une « tribu » nationale unique. Cependant, l’article affirme que “la gauche” a délibérément fracturé cette unité en mettant l’accent sur les divisions identitaires — race, genre, idéologie — au détriment des idéaux nationaux partagés. En établissant des parallèles sombres avec les conflits tribaux et influencés par le marxisme en Afrique, notamment en Afrique du Sud et en RDC (ce qui explique la présence de l’image dans cet article, ayant d’ailleurs le lien de la vidéo publiée sur la chaîne YouTube WION), l’article met en garde : abandonner les principes unificateurs de l’Amérique au profit de politiques identitaires risquerait de plonger la société dans le chaos, comme c’est le cas dans certaines régions africaines.
En poursuivant la vérification, nous avons remarqué l’indication « Source : Reuters » dans le coin inférieur droit de l’image, ce qui nous a mené vers un reportage fait par le média anglais Reuters (archivé ici) précisant aussi que la vidéo présente l’enterrement ayant eu lieu à Goma, après la prise de la ville l’AFC/M23. L'article contenant ce reportage rapporte qu'après la capture de Goma par le M23, la ville a entamé des enterrements de masse pour plus de 2 000 victimes, afin de prévenir les risques sanitaires liés aux morgues débordées. Le cessez-le-feu déclaré par les rebelles a permis aux habitants de procéder à ces inhumations, bien que des tirs sporadiques et des pillages aient été signalés. Le conflit a entraîné au moins 900 morts et près de 3 000 blessés, selon l'ONU, et a déplacé environ 700 000 personnes. Les infrastructures médicales ont été submergées, et les coupures d'électricité ont compliqué la conservation des corps. Les autorités locales et les organisations humanitaires se sont efforcées de gérer cette crise humanitaire majeure.
Un autre média tanzanien, Divine Radio FM, a aussi utilisé l'image dans un article en swahili (archivé ici) publié le 5 février 2025, intitulé : « Mazishi ya halaiki yafanyika Goma huku familia zikidai amani », traduit par : « Funérailles de masse à Goma, les familles réclament la paix ». Ce dernier rapporte que des enterrements de masse ont été organisés à Goma par la Croix-Rouge, une semaine après la prise de la ville par l’AFC/M23. Environ 2 000 corps ont été inhumés, bien que l'OMS ait confirmé 900 décès. Les familles endeuillées ont exprimé leur douleur et appelé les autorités à rétablir la paix dans la région.
Pour approfondir nos recherches, nous avons visionné la vidéo originale dont est tirée cette image et avons relevé plusieurs indices permettant de situer la scène à Goma, et non en Afrique du Sud.
Il s’agit notamment des bâtiments visibles dans la vidéo, comme le portail du “Complexe Scolaire Children’s Voice Bujovu”, situé à proximité de l’entrepôt Ihusi et en face du cimetière ITIG Don Bosco. Par ailleurs, ces éléments ont pu être confirmés grâce à Google Earth, qui nous a permis d’identifier précisément ces lieux.
À gauche : Image capturée sur Google Earth, montrant les bâtiments du Complexe Scolaire Children’s Voice Bujovu en tôles rouges et l’entrepôt Ihusi en tôles bleus. À droite : Image de prise de la vidéo originale montrant des agents de la Croix Rouge devant le portail du Complexe Scolaire Children’s Voice Bujovu, avec l’entrepôt Ihusi en arrière Plan.
Les fermiers blancs : un sujet instrumentalisé
Les fermiers blancs d’Afrique du Sud, principalement descendants de colons européens, contrôlent encore une grande partie des terres agricoles du pays. Héritiers de l’apartheid, ils représentent une minorité visible dans un contexte de fortes inégalités foncières.
Depuis plusieurs années, certains dénoncent des violences ciblées à leur encontre, évoquant des meurtres et des attaques en zone rurale.
En 2018, Donald Trump a relancé la polémique en parlant de « massacres » de fermiers blancs, ce qui a été démenti par le gouvernement sud-africain. Les données officielles montrent un taux de criminalité élevé, mais pas de génocide ni de campagne ciblée.
Des organisations comme AfriForum , une organisation non gouvernementale sud-africaine de défenses de droit civiques des communautés minoritaires en Afrique du Sud, alertent sur une insécurité réelle, bien que les motivations des crimes soient souvent économiques. La réforme agraire, en discussion depuis des années, alimente la crainte d’expropriations sans compensation. Le sujet est politiquement sensible, tant à l’intérieur du pays qu’à l’international. Il incarne les tensions persistantes entre justice sociale, mémoire historique et stabilité. Le défi de l’Afrique du Sud est de redistribuer les terres sans attiser les divisions raciales ni nuire à la sécurité alimentaire.
Conclusion
L'image brandie par Donald Trump le 21 mai 2025 ne montre en aucun cas un enterrement de fermiers blancs tués en Afrique du Sud. Elle provient d'une vidéo filmée à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, et montre l’enterrement des personnes mortes lors de la prise de la ville par l’AFC/M23 en janvier dernier. Cette manipulation souligne l'importance de la vérification des images, surtout lorsqu'elles sont utilisées par des personnalités publiques dans des déclarations officielles.