Contexte
Depuis maintenant deux mois, Joseph Kabila est rentré en République démocratique du Congo par sa partie orientale, à Goma plus précisément. Durant ces deux mois de séjour dans la ville volcanique, le président honoraire congolais ne s’est pas ménagé : il a entrepris des consultations à Goma et Bukavu, les deux capitales des provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu, villes sous contrôle du mouvement politico-militaire AFC/M23. À en croire l’ancien chef d’État congolais, ces consultations s’inscrivent dans le cadre de favoriser un dialogue inclusif élargi autour du retour de la paix dans la partie est du Pays, marquée par une instabilité constante.
Ce retour n’a pas été vu de bon œil par tout le monde, particulièrement par la classe politique congolaise, qui pointe du doigt le fait que Kabila soit rentré au pays par la partie orientale, compte tenu du fait qu’elle est sous contrôle de l’AFC/M23. Le gouvernement congolais a donc levé les immunités du Sénateur à vie, l’accusant d’être de connivence avec l’AFC/M23.
Dans ce contexte tendu, une vidéo montrant d’apparence Joseph Kabila arrêté par deux policiers, sous ordre de Félix Tshisekedi, circule sur les réseaux sociaux, essentiellement Facebook. Le son dans la vidéo fait croire à un journal télévisé dans lequel l’annonce a été faite.
Après vérifications par des outils de détection des deepfakes, dont Hive Moderation, WasItAi, et consultations des médias crédibles, tant nationaux qu’internationaux, il s’avère que la vidéo est un fruit de l’intelligence artificielle.
La vidéo virale
La vidéo a été publiée par Alain Ntamboua sur sa page Facebook, suivie par plus de 3 900 followers, et dont les contenus se concentrent sur les actualités sociales et politiques de la RDC. Le son dans la vidéo déclare : « Ce matin, on vient d’arrêter Joseph Kabila de la RDC pour les crimes commis à Goma et il doit être jugé ce samedi à 12h à Kinshasa la capitale de la RDC le president Felix-Antoine Tshisekedi vient d’ordonner à la cour constitutionnelle … ». La vidéo, publiée depuis ce 14 juillet, a été aimée plus de 300 fois, avec plus de 30 commentaires, plus de 20 partages au jeudi 24 juillet 2025, à 14h30’, heure de Goma.
Les réactions sur la vidéo font appel à toute sorte de sentiment : si certains émettent des doutes quant à la véracité de l’annonce, d’autres par contre en sont convaincus. « Tu es menteur, ce n’est pas vrai », lâche un commentateur, alors qu’un autre jubile : « Alléluia ».
Une vidéo générée
Pour commencer, nous avons analysé soigneusement la séquence et certains éléments permettent de constater que celle-ci n’est pas authentique : l’image attribuée à Joseph Kabila ne correspond vraiment pas à sa physionomie, bien qu’ayant une petite ressemblance au natif de Hewa Bora. D’autres éléments sont non négligeables : Incohérences d’éclairage entre les visages, les mains et les vêtements, bords artificiels autour des menottes et du visage, posture trop posée pour une arrestation réelle, différences de résolution dans certaines zones de texte sur les uniformes des policiers.
Ceci étant observé, des analyses synthétiques avec des outils performants de détection des deepfakes ont été effectuées. Grâce à Hive Moderation, il a été constaté que l’annonce, tant le visuel que l’audio, présente 90,9% de probabilité d’avoir été générée par une intelligence artificielle.
Capture des résultats obtenus avec Hive Moderation
Plus loin, WasItAi a été sollicité, et le résultat vient conforter la probabilité de génération par intelligence artificielle : « We are quite confident that this image, or significant part of it, was created by AI », en français : « Nous sommes convaincus que cette image, ou l’importante partie de celle-ci, a été générée par l’IA ».
Capture des résultats obtenus avec WasItAi
Contexte inapproprié à une arrestation
Ce vendredi 25 juillet, à Kinshasa, la haute cour militaire du palais de la justice de la Gombe a lancé des poursuites judiciaires contre Joseph Kabila, après que les immunités du Sénateur à vie congolais ont été levées par le Sénat (archivés ici et ici). Néanmoins, il faut d’abord que cette instance prononce un jugement reconnaissant celui-ci couplable pour que soit lancé un mandat d’arrestation, ce qui n’a pas encore été fait à ce jour.
En outre, certains faits rendent cette arrestation quasiment impossible dans le contexte actuel :
Goma, Bukavu et plusieurs zones du Nord et Sud-Kivu sont partiellement ou entièrement sous contrôle de l’AFC/ M23.
L’armée congolaise (FARDC) et les forces gouvernementales n’ont pas d’accès à ces zones.
Le gouvernement ne contrôle donc pas militairement les zones où Kabila circule actuellement en RDC, ce qui rend toute arrestation militairement et logistiquement impossible sans risque de confrontation directe.
D’après la RFI (archivé ici), après ses consultations avec les forces vives de Goma et Bukavu, Joseph Kabila a rédigé un rapport dont le contenu devait être publié lors d’une conférence de presse, qui a finalement été reportée. Il prévoit de dévoiler son contenu lors du dialogue national en préparation, auquel il compte bien prendre part
Bref
La vidéo de l’annonce de l’arrestation de Joseph Kabila à Kinshasa le 19 juillet est une fausse, elle a été générée par l’intelligence artificielle. S’il est vrai qu’un procès a été ouvert à son encontre par la Haute cour militaire du palais de la justice de la Gombe, aucune preuve ne vient corroborer jusque-là la rumeur sur son arrestation.
La génération des contenus audio-visuels par l’intelligence artificielle relève de la désinformation. Il est donc vital d’avoir un état d’esprit critique face à ce genre de contenus et de savoir comment identifier le vrai du faux.
Édité par Joël Kitambala