Contexte
À la suite de violents affrontements dans la plaine de la Ruzizi notamment à Luvungi et Katogota (archive consultable ici) la ville d’Uvira est passée sous le contrôle de l’AFC/M23 le 10 décembre dernier, après le retrait des FARDC et des groupes Wazalendo vers Fizi. C’est dans ce contexte mouvant et tendu qu’une publication diffusée sur Facebook le 11 décembre a retenu l’attention d’Eleza Fact. Celle-ci montre un bateau naviguant sur un lac avec plusieurs passagers à son bord. La publication affirme qu’il s’agit du bateau Emmanuel 3 accostant à Goma, transportant des militaires burundais ainsi que des éléments des FARDC et des Wazalendo capturés par l’AFC/M23 sur le front d’Uvira.
Dans le cadre de la vérification de cette information, Eleza Fact a contacté les responsables du bateau Emmanuel et a soumis l’image à l’outil Google Search by Image. Les résultats de cette analyse montrent que la photo a été utilisée hors contexte et ne correspond pas aux faits avancés dans la publication virale.
Contenu de la désinformation
La publication a été mise en ligne par la page Facebook Kivu News, qui compte plus de 144 000 abonnés et se présente comme un canal d’information, qui amplifie les voix des populations locales et couvre les enjeux humanitaires.
La publication montre un bateau au design typique des bateaux Emmanuel, appartenant aux établissements Silimu de Goma, naviguant sur un lac. La légende accompagnant l’image affirme : « Plusieurs capturés Burundais, FARDC et Wazalendo bien ligotés et embarqués à bord du bateau Emmanuel viennent d’accoster au port de Goma. Certains éléments des Forces de défense du Burundi, des FARDC ainsi que des Wazalendo capturés au front par le M23 sont arrivés ce jeudi à Goma. Nos sources indiquent que ces soldats ont été transportés à bord du bateau Emmanuel. Comme par le passé, nos sources craignent que ces hommes ne soient une nouvelle fois endoctrinés par ce groupe rebelle à Rumangabo avant d’être redéployés sur les théâtres d’opérations contre les forces gouvernementales. Un cas similaire avait déjà été observé lors de la capture des soldats FARDC et Wazalendos à Goma et à Bukavu ».
Profitant de la large audience de la page, la publication a suscité une forte interaction. Au 19 décembre 2025 à 14h00, elle cumulait plus de 1 200 mentions « j’aime », générait 230 commentaires et totalisait 18 partages.
Dans l’espace commentaires, plusieurs internautes expriment leurs doutes et s’interrogent sur la crédibilité des informations avancées. On peut notamment lire : « Comment ces militaires ont été capturés alors qu'il n'y a pas eu combat à Uvira ? », « il n'y a pas eu une guerre à Uvira, où est-ce qu'on les a capturés ? » ou encore « Par quelle magie le bateau Emmanuel peut quitter Uvira pour Goma, peut-être que c'est un bateau hybride hydravion ? ».
Démenti de l'établissement SILIMU
Pour commencer, Eleza Fact a contacté le Dr Lueni, Directeur administratif et financier des Établissements Silimu, qui a formellement démenti ces allégations en ces termes : « Nous tenons à clarifier que le bateau Emmanuel 3 (et tous les bateaux des établissements Silimu) est un navire strictement à usage civil, destiné au transport de passagers et de marchandises sur le lac Kivu. Il n’a aucun caractère militaire et n’est en aucun cas impliqué dans des opérations militaires ou paramilitaires. Ces rumeurs sont donc totalement fausses et infondées. Les Établissements Silimu réaffirment leur engagement à assurer la sécurité et le confort des passagers, conformément aux normes maritimes civiles, et appellent le public à vérifier l’exactitude des informations avant toute diffusion ».
Une image prise 3 à 5 ans plus tôt
Pour enrichir notre vérification, nous avons eu recours à l’outil Google Search by Image. La première correspondance nous a renvoyés vers l’article « Bukavu : Les Ets Silimu suspendent le trafic du bateau Emmanuel 3 sur le lac Kivu », publié le 25 juillet 2023 sur le média en ligne Le Souverain Libre (archivé ici). L’article a utilisé l’image en illustration et précisait que le bateau Emmanuel 3 a connu deux pannes techniques sur le lac Kivu les 21 et 22 juillet 2023, contraignant les Établissements Silimu à suspendre son trafic afin de procéder aux réparations nécessaires, notamment le remplacement du moteur responsable de ces incidents. L’entreprise a présenté ses excuses à sa clientèle pour ces perturbations, tout en assurant que les autres navires de sa flotte (Emmanuel 1, 2 et 4) poursuivaient leurs services normaux entre Goma et Bukavu.
Nous avons ensuite retrouvé l’image en illustration d’un article du 25 février 2021 du Média en ligne le Maximum (archivé ici) rapportant que Lambert Mende Omalanga, président du conseil d’administration des Lignes Maritimes Congolaises (LMC), a annoncé que la RDC va bientôt acquérir de nouveaux navires congolais pour relancer son armateur public, après plus de 25 ans d’absence de flotte nationale. De retour d’une mission à Dubaï, il a expliqué que ces navires seront propriétés de l’État congolais et non plus affrétés auprès d’armateurs privés, avec pour objectif de faire flotter à nouveau le drapeau de la RDC sur les océans.
Enfin, l’image a été retrouvée dans un article publié le 21 juillet 2023 sur le média en ligne infos.cd (archivé ici) qui rapportait qu’environ 400 passagers du bateau Emmanuel 3 des Établissements Silimu ont vécu un moment de panique en plein milieu du lac Kivu après une panne de moteur survenue vers 10h alors que l’embarcation quittait Bukavu pour Goma, laissant le navire immobilisé sans assistance immédiate. Des témoignages évoquaient la détresse et l’agitation à bord, tandis que les responsables de la compagnie appelaient au calme en attendant l’arrivée d’un autre bateau pour secourir les passagers.
Bref
Pour vérifier l'image prétendant montrer le bateau Emmanuel 3 à Goma avec à son bord des militaires burundais, congolais et des Wazalendo capturés à Uvira par le M23, Eleza Fact a contacté un cadre des Établissements Silimu, qui a réfuté ces allégations. Ensuite, l'image a été soumise à une recherche inversée via Google Lens qui a permis de découvrir qu'elle a été utilisée hors contexte et n’a rien à voir avec les événements récents à l’est de la RDC.
Il est donc essentiel de toujours vérifier avant de croire ou de partager, car l’information, lorsqu’elle est fausse, manipulée ou sortie de son contexte, peut devenir une arme dangereuse pouvant ternir l'image des institutions et attiser des tensions.
