Contexte
Depuis le début de l’année, la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC s’est considérablement détériorée, avec des avancées significatives du M23, gagnant de plus en plus de terrain, notamment avec l'occupation des villes de Goma et de Bukavu.
Dans ce contexte sécuritaire tendu, une vidéo de 16 secondes circule sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook, dans laquelle on aperçoit des soldats accompagnés des policiers en train de torturer des civils étendus au sol. La légende sur la vidéo affirme que ces actes ont été posés par l'AFC/M23.
Pourtant, les vérifications menées par Eleza Fact, notamment avec l'outil de vérification d'images inversées Google Lens et l’analyse des éléments visuels sur la vidéo, démontrent que cette image est hors contexte, elle n'a rien à avoir avec la situation actuelle du pays.
L'infox
La vidéo a été mise en ligne sur la page Facebook Larelève Media le 11 avril dernier.
« Une libération parfaite de l'AFC/M23 », alléguait la légende accompagnant la vidéo, ironiquement. La vidéo a cumulé plus de 300 j'aime, 80 commentaires, 140 partages (statistiques observées vendredi 9 mai 2025 à 17h45 de Kinshasa).
Plusieurs lecteurs croient que ces allégations sont vraies. L'un d'eux écrit :
« Pour ceux la qui souhaitent que nanga vienne les libérer, qu'ils s'attendent à ça »(sans correction).
D'autres, par contre, sont sceptiques quant à la véracité de la nouvelle :
« Cette vidéo existe depuis plus de 5 ans et pour votre information swahili est la langue militaire de l'Ouganda et swahili se parle en Ouganda », écrit l'un d'eux.
Une vidéo de juin 2020 en Ouganda et non à l’Est de la RDC en 2025
En soumettant cette vidéo à la vérification grâce à l'outil de vérification d'images inversées Google Lens, les correspondances nous ont conduits au contexte original autour de la séquence.
La première correspondance est du média Spyuganda qui titre son article (archivé ici) du 13 juin 2020 : « Une vidéo de la police et de l'UPDF fouettant des Ougandais pour avoir bafoué le confinement lié à la COVID-19 devient virale ». D'après ce média, ces personnes ont été surprises assises en train de prendre une bière sans respecter les dispositions du gouvernement concernant les mesures barrières liées à la pandémie de COVID-19.
La seconde correspondance est de Walusimbi Abraham, membre du parti politique National Unity Platform (NUP), un parti politique d'opposition en Ouganda dirigé par Bobi Wine, qui est également un opposant au régime de Yoweri Museveni, qui a posté la même vidéo sur sa page Facebook (archivée ici) le 13 juin 2020, déplorant : « Signs en symptoms of a failed state. Kyagulanyi ssentamu Robert you the only hope that uganda haz », en français : « Les signes et symptômes d'un État qui a échoué, Kyagulanyi Ssentamu Robert tu es l'unique espoir de l'Ouganda ».
L'autre vient de la page Facebook “Uganda is my country” qui a publié cette vidéo ( archivée ici) le 20 juin 2020.
« I condemn this as a Ugandan what about you? Is this really the people who supposed to protect us with our properties or », en français :« Je condamne cela en tant qu'Ougandais, et vous ? Est-ce que ce sont vraiment les gens qui sont censés nous protéger avec nos bien », dit la légende qui accompagne la vidéo.
Le compte Facebook Kiggundu M Bobi Diehard, un compte qui publie des informations en rapport avec l'Ouganda a également mis en ligne cette courte vidéo (archivée ici) le 12 juin 2020 avec la légende qui dit, s'écriant : « Is This Ouganda You Want ?… » en français : « C'est ça l'Ouganda que vous voulez ? »
On retrouve également la même vidéo postée sur la page Facebook Kyangulanyi Uganda Zaabu (archivée ici) le 12 juin 2020, sur la page Kampala sagaz (archivée ici) le 15 juin 2020.
Elle est reprise sur cette publication (archivée ici) du 18 juin 2020 de "Abtex promotions", une page qui partage des contenus en rapport avec l'Ouganda. « Uganda Police and Afande Nakalema why dont you arrest these fools that torture their fellow ugandans in such a cruel way as if they are not humans or they are not their fellow ugandans!
Uganda Police and Afande Nakalema lwaki temukwata abasilu silu bano abatulugunya banauganda banabwe mungeri bwetyo joli nti bo sibantu oba siba nauganda bannaabwe! », en français : « Police Ougandaise et Afande Nakalema, pourquoi ne pas arrêter ces imbéciles qui torturent leurs compatriotes comme s'ils ne sont pas des humains ou qu'ils ne sont pas leurs compatriotes Ougandais », dit la légende qui accompagne la vidéo en anglais et en Luganda.
Le 16 octobre 2020, le média congolais Médiacongo, quant à lui, a utilisé une capture de cette vidéo dans l'un de ses articles pour parler des pêcheurs congolais appréhendés sur le lac Édouard, accusés d'avoir violé les frontières maritimes ougandaises. « Nord-Kivu : encore des pêcheurs congolais maltraités et torturés par les marins ougandais au lac Edouard », tel est le titre de l'article.
De toutes ces correspondances, un détail important ressort : la vidéo est ancienne et a été prise en Ouganda et pas en République démocratique du Congo.
D'autres correspondances visuelles telles que le port de masque par certains militaires et l'uniforme montrent que cette vidéo n'est pas récente. Elle date de 2020, période durant laquelle le port du masque était obligatoire en raison de la pandémie de Coronavirus.
Les soldats portant des masques, signe que cet incident est relatif à la période de la pandémie
Conclusion
La vidéo montrant des personnes fouettées ne date pas de 2025 ni n’a été prise à l’est de la République démocratique du Congo. Après vérification, Eleza Fact confirme qu’elle remonte à juin 2020 et a été filmée en Ouganda. L’analyse a été effectuée à l’aide de Google Lens, ainsi que par l’observation minutieuse des éléments visuels présents dans la séquence. Les résultats ont permis d’identifier des correspondances claires avec des événements survenus en Ouganda, et non en RDC.
Dans un contexte marqué par des tensions sécuritaires, la diffusion d’images sorties de leur contexte peut alimenter la désinformation, attiser les tensions communautaires, voire mettre en danger des vies humaines. D’où l’importance, plus que jamais, de vérifier rigoureusement chaque information avant de la partager.
Édité par Daniel Makeke