Contexte
Depuis la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, le 27 juin 2025 à Washington, sous la médiation des États-Unis, plusieurs contenus trompeurs circulent sur les réseaux sociaux, alimentant la désinformation autour du processus de paix. Le 10 juillet 2025, une publication sur Facebook a relayé trois images montrant des hommes en tenue militaire. Ces images sont présentées comme la preuve de l’arrivée à Uvira (Sud-Kivu) d’une armée privée de la République de Colombie, venue, selon la publication, prendre le relais du contrôle des zones actuellement occupées par l’AFC/M23.
Après une analyse minutieuse à l’aide de l’outil Google Search by Image, il a été constaté que les images partagées dans cette publication n’ont aucun lien avec une quelconque présence militaire colombienne à Uvira, ni ailleurs en République démocratique du Congo.
Publication
La publication a été postée sur la page Facebook nommée Darius Christel Cibuyi. Elle contient trois photos montrant des hommes en tenue militaire. Sur la première image, on aperçoit une dizaine de militaires alignés devant un hélicoptère, semblant prêts à embarquer. La deuxième photo montre un militaire cagoulé, tandis que la troisième présente deux soldats souriants, bras croisés. La légende accompagnant la publication indique : “Sécurité : L'armée privée de la République de la Colombie vient d'arrivée à Uvira pour installé son quartier général.
Nb : leur mission c'est pour contrôler le zone occupée par la coalition AFC-M23-RDF, après la finalisation de l'accord de Washington en juillet (François Soudan Dg de jeune afrique)” (Sans correction)
Une image prise d’une opération de sauvetage en Colombie
Pour entamer notre procédure de vérification, nous avons soumis les trois images à une recherche inversée via Google Search by Image afin d’identifier d’éventuelles correspondances.
La première image apparaît dans un article (archivé ici) publié le 30 mai 2023 par le média américain CNN International. Cet article revient sur le crash, survenu le 1er mai 2023, d’un petit avion dans la jungle colombienne, à bord duquel se trouvaient une mère indigène et ses quatre enfants. Les adultes ont péri, mais les enfants ont survécu seuls pendant 40 jours grâce à leurs connaissances de la forêt. Une vaste opération conjointe, impliquant militaires et membres de communautés indigènes, a permis de les retrouver vivants. Leur survie a été saluée comme un miracle. Dans cet article, la description associée à l’image précise : “Une vaste opération est en cours pour retrouver les enfants disparus. Forces militaires colombiennes/Reuters”.
Un autre article (archivé ici), publié le même jour par RTL, a également parlé de cet incident, reprenant la même image et un communiqué des autorités colombiennes au sujet du crash d’un avion dans la jungle de la forêt amazonienne. Le communiqué indiquait que quatre enfants, âgés de 11 mois à 13 ans et issus du peuple indigène Uitoto, seraient toujours en vie. Des traces telles que des empreintes, un abri de fortune, des fruits mâchés et des objets personnels ont été découvertes par les secours, qui en ont déduit qu’ils étaient encore vivants. Ces éléments ont motivé le déploiement de près de 200 militaires et indigènes dans une zone de plus de 300 km². La légende accompagnant la photo sur le site éclaire les circonstances de la prise de vue de l’image en déclarant : “L'armée colombienne se prépare à aller chercher les enfants dans la forêt amazonienne, vendredi 19 mai 2023. Crédit : AFP PHOTO / COLOMBIAN ARMY”.
Une image d’un exercice militaire
Les correspondances pour la deuxième image nous ont tout d’abord conduits vers le site Grey Dynamics, une société de renseignement basée à Londres, fondée en 2017. Elle s’appuie sur un réseau international d’analystes, de chercheurs et d’enquêteurs. L’image apparaît en couverture d’un article (archivé ici) consacré à l’AFEAU (Agrupación de Fuerzas Especiales Antiterroristas Urbanas ; traduit en français : Groupement des Forces Spéciales Antiterroristes Urbaines.), une unité d’élite colombienne spécialisée dans le contre-terrorisme urbain.
L’article décrit en détail le rôle de cette unité, sa formation exigeante, son équipement tactique avancé, ainsi que sa participation à des missions sensibles telles que la libération d’otages et la neutralisation de menaces urbaines. Il est précisé que la photo a été prise lors de l’exercice multinational Fuerzas Comando 2024 (FC24).
Par ailleurs, la même image a été utilisée par le média brésilien "A Referência", spécialisé dans la désinformation, les questions géopolitiques, la sécurité internationale et les groupes extrémistes. Ce média est reconnu pour son rôle de veille stratégique à destination du public lusophone.
Dans son article (archivé ici) intitulé « La Colombie intensifie la lutte contre les guérillas de gauche après 100 morts », l’image est utilisée pour illustrer l’intensification des opérations militaires colombiennes face à une recrudescence de violences impliquant groupes armés et narcotrafiquants. Ces affrontements ont provoqué près de 100 morts et fragilisé les efforts de paix engagés depuis l’accord de 2016. Le gouvernement a, en réaction, renforcé sa présence militaire dans les zones contestées.
La légende de l’image sur le site de "A Referência" indique : « Membre des Groupes des forces spéciales antiterroristes urbaines (AFEAU), la division antiterroriste de l’armée colombienne (Photo : WikiCommons) ».
Une image prise en 2020 a Tolemaida en Colombie
Par ailleurs, la troisième image a été retrouvée sur le site Jacobin en illustration d’un article (archive ici) qui traite de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. L’article révèle que 26 des 28 assassins de Jovenel Moïse, tué dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, étaient d’anciens militaires colombiens. Il explique comment la Colombie est devenue un important exportateur de mercenaires, formés pour des guerres contre-insurrectionnelles et régulièrement engagés dans des conflits internationaux tels que ceux en Irak, en Afghanistan ou au Yémen.
Sur le site, Oliver Dodd, journaliste spécialisé dans le conflit armé en Colombie et les processus de paix, qui publie régulièrement des analyses sur ces sujets dans la presse et lors de conférences, précise dans la description accompagnant l’image dans l’article (archivé Ici ) : “Les troupes colombiennes et américaines organisent des exercices militaires conjoints à Tolemaida, en Colombie, en janvier 2020. Au moins sept des mercenaires colombiens impliqués dans l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse ont reçu une formation directe des États-Unis. (RAUL ARBOLEDA/AFP via Getty Images)”
Que retenir de l’accord du 27 juin 2025
Le 27 juin 2025, la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Rwanda ont signé à Washington un accord de paix historique (archivé ici), sous l’égide des États-Unis, avec la participation active du Qatar et de plusieurs acteurs internationaux. La cérémonie s’est déroulée en présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio, des ministres des Affaires étrangères congolais et rwandais, ainsi que de représentants de l’Union africaine et du Togo. Cet accord vise à mettre fin à plus de trente ans de conflits meurtriers dans l’est de la RDC.
Les principaux points de l’accord (archivé ici) incluent le respect de l’intégrité territoriale, la cessation des hostilités et le désengagement militaire, le désarmement et l’intégration des groupes armés, la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité, le retour des réfugiés et l’accès humanitaire, ainsi qu’un cadre de coopération économique.
Les États-Unis et le Qatar jouent un rôle central dans la médiation. Washington est chargé de coordonner les dialogues politiques, sécuritaires et économiques, tandis que Doha facilite les discussions spécifiques entre la RDC et le M23, contribuant à une meilleure cohérence entre les différentes initiatives diplomatiques, notamment celles soutenues par l’Union africaine.
Après un examen minutieux de l’accord, aucun point ne stipule que l’armée colombienne doit occuper les zones contrôlées par l’AFC/M23 après leur retrait, pas plus qu’une disposition mentionnant une installation imminente de cette armée à Uvira. L’accord prévoit le désengagement des territoires occupés par les groupes armés, mais il n’indique pas qu’une autre force étrangère doit automatiquement reprendre le contrôle de ces zones.
Par ailleurs, l’AFC/M23 a publiquement déclaré ne pas se sentir directement concernée par l’accord du 27 juin, (archive ici) en précisant que des négociations distinctes sont en cours à Doha pour leur cas particulier. Le retour du contrôle de ces territoires par Kinshasa constitue donc un objectif politique du processus, mais l’accord n’en formalise pas les modalités militaires.
Bref
Ces images montrant des militaires colombiens n’ont pas été prises à Uvira, au Sud-Kivu. Après une vérification minutieuse à l’aide de l’outil Google Lens, Eleza Fact a pu déterminer qu’elles ont été sorties de leur contexte. Elles ont été prises en Colombie lors de différentes opérations et concernent de différents incidents, tous en Colombie. Elles n’ont aucun rapport avec l’installation d’un quartier général colombien à Uvira en vue de reprendre les zones contrôlées par l’AFC/M23 après son retrait.
Il est donc essentiel de faire preuve de la plus grande vigilance dans la consommation et la diffusion des informations en ligne, en particulier dans un contexte marqué par l’instabilité et la crise sécuritaire, comme à l’Est de la RDC.
Édité par Daniel Makeke