Contexte
Lors de son allocution trimestrielle devant le Conseil de sécurité des Nations Unies le lundi 30 septembre dernier, Bintou Keita, cheffe de la MONUSCO en RDC, a fait part de son inquiétude concernant la consolidation de l’administration du M23 dans les territoires de Masisi et Rutshuru au Nord-Kivu, lui permettant d'établir un contrôle total sur la production de coltan. De ce fait, deux images montrant des blindés et des éléments de la MONUSCO ont été publiées sur le réseau social X (ex-Twitter) avec une légende accusant la mission onusienne d'être impliquée dans l'exploitation illégale des ressources naturelles en République Démocratique du Congo. Pourtant, Eleza Fact, ayant utilisé des outils de vérification d’images, a découvert que ces images sont anciennes et sorties de leur contexte.
Images et allégations
Le 30 septembre dernier, à 18h11 (heure de Goma), les deux images ont été publiées via le compte X (exTwitter) certifié de Mugenzi Félix. La première est une capture d’écran d’un article du média The Guardian portant un véhicule blindé de la MONUSCO avec des soldats de la mission onusienne accompagnés de l’armée congolaise, tandis que la seconde illustre un engin de la mission onusienne ayant été impliqué dans un accident de circulation.
« Maintenant, la MONUSCO accuse le M23 d'exploiter les minerais de Rubaya, Rucuru et Masisi. Pourquoi de tels jeux de reproches ? Ce sont les Casques bleus de l'ONU qui exploitent ces minerais alors qu'ils sont là pour maintenir la paix », (sans correction) allègue Mugenzi Félix. Un post ayant accumulé 7177 vues, été aimé par 22 personnes et été reposté 13 fois avec une citation ce 03 octobre à 12h00 heure de Goma.
Certains internautes ont cru à l’information, c'est dans le cas de Tshims Tshite qui a commenté : « Voilà encore ». Axel Mbay Sniper a aussi ajouté : « Une autre vérité vérifiable ».
Capture des commentaires d’Axel et Tshite prise par Eleza Fact
Des cas spécifiques accusés de contrebande des minerais par les Nations Unies en 2007
L’outil google reverse image a permis de retracer l’origine de la première image. Elle a été prise d’un article (lien archivé) publié le 28 avril 2008 à 11h40 (Temps Universel) sur le site du média The Guardian, alors que des troupes de la Mission de l’ONU au Congo (MONUC, aujourd’hui MONUSCO) pakistanais et indiens ont été accusés d’être impliqués dans un trafic des minerais contre les armes aux rebelles en République Démocratique du Congo, des cas spécifiques qui ne sont pas représentatifs de la Monusco dans son ensemble et n'ont aucun lien avec la situation actuelle. « Une enquête de l'ONU sur les accusations portées contre les Casques bleus indiens a permis de découvrir des preuves contre trois soldats qui trafiquaient illégalement de l'or et détenaient illégalement un commerçant. Mais elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour rejeter les autres accusations. Le gouvernement indien a décrit le trafic d'or présumé comme une “ “affaire banale”, mais a déclaré que les trois soldats indiens seraient sanctionnés s'ils étaient reconnus coupables », précise The Guardian.
Capture utilisée dans l'infox, téléchargée par Eleza Fact
En 2007, Le média anglais British Broadcasting Corporation (BBC) avait déjà fait état d'un incident similaire, en illustrant un article (lien archivé) par cette même image. À l'époque, l'ONU avait reconnu qu'un de ses casques bleus pakistanais était impliqué dans un cas de contrebande d'or en RDC. Laura Trevelyan, correspondante de la BBC à l'ONU, avait précisé que si l'organisation pouvait sanctionner les individus fautifs, la responsabilité ultime revenait aux pays fournissant les troupes. Il est crucial de souligner que cet événement, impliquant des acteurs individuels au sein de la MONUSCO et non l'organisation dans son ensemble, est distinct de la situation actuelle.
L’image a été publiée pour la première fois le 16 mars 2007 à 17h19 (Temps Universel) dans un article de la Radio France Internationale (RFI) titré “Les ex-rebelles ont du mal à rentrer dans les rangs” (lien archivé), où l’image est légendée : « Les véhicules légers blindés de la Monuc et les soldats des Forces armées de la République démocratique du Congo ont pris position le 15 mars autour des résidences de Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa à Kinshasa. (Photo : AFP) ». Elle n’a rien à voir avec un trafic quelconque des minerais par la mission onusienne en RDC. Elle a été utilisée à titre illustratif dans des articles dénonçant les comportements affichés par certains éléments de la Monusco dans le passé.
L’image et sa légende dans l’article de la RFI, prise par Eleza Fact
La seconde image est aussi ancienne et date de 2018. Elle a été utilisée à plusieurs reprises dans le passé pour relayer des informations soumises à la vérification par des médias sérieux, en l’occurrence les Observateurs de la France 24, Stop Blablacam du Cameroun et bien d’autres médias.
Contacté par le média Congocheck en octobre 2018, Florence Marchal, porte-parole de la mission onusienne à l’époque, avait déclaré : « Nous avons vu en effet que cet incident suscitait beaucoup de commentaires sur les médias sociaux et traditionnels. Concernant les sacs qui seraient remplis de minerais, je souhaiterais préciser que les militaires utilisent des sacs de sable pour se protéger pendant les opérations. Le Commandant de la Force a instruit ses équipes afin qu’elles procèdent à une enquête qui permettra de déterminer les circonstances exactes de l’accident et des sanctions seront prononcées si nécessaire ».
Depuis ce dernier cas signalé en 2018, il sied de signaler qu'aucun autre cas de ce type, c'est-à-dire un quelconque autre trafic des minerais, n'a plus été signalé par le biais des canaux crédibles.
Pour corroborer, Eleza Fact a contacté Ndeye Khady Lo, porte-parole de la Monusco, qui a affirmé que l’information est fausse. « C'est absolument faux. Ce sont des fausses informations qui refont surface tout le temps », déclare-t-elle.
Un désamour contre la Monusco
Accusée d'inefficacité contre les groupes rebelles et dans le maintien de la paix en République Démocratique du Congo, principalement en province du Nord-Kivu, qui est en proie à la guerre depuis plusieurs décennies, la mission onusienne a été demandée de se retirer par le gouvernement congolais. Depuis, cette dernière a été victime des manifestations anti-Monusco, ayant causé la mort de plusieurs personnes dans certaines villes de la RDC, et d’une campagne de désinformation, notamment dans le trafic des minerais depuis plusieurs années maintenant. Il sied de préciser ici que l’exploitation minière ne fait pas partie des missions de la MONUSCO en République Démocratique du Congo.
Kinshasa a annoncé le début du processus de retrait de la Monusco depuis janvier dernier, qui devra s'achever d'ici fin d’année 2024. Le 30 juin dernier, la première phase de retrait des troupes de la Monusco a commencé au Sud-Kivu. Cependant, Depuis juillet dernier, le gouvernement congolais a indiqué sa volonté de ne pas entamer la deuxième et troisième phase du processus de retrait de la Monusco à cause de la situation sécuritaire, toujours tendue dans la région de l'est.
D’après le Conseil de sécurité des Nations unies, 300 000 dollars, c’est la somme que les rebelles du M23 perçoivent chaque mois, grâce à l’exploitation du tantale au Nord-Kivu. Plus de 15 % de l’approvisionnement mondial de ce métal extrait du coltan proviendrait de la zone minière de Rubaya, dans l’est de la RDC. Le M23, que le Rwanda est accusé de soutenir, s’est emparé en avril dernier de ce gisement inestimable.
Conclusion
Ces images, l'une prise le 15 mars 2007, a été utilisée en illustration dans certains articles dénonçant des cas spécifiques de contrebande des matières premières par des éléments de la Monusco et l'autre date d’octobre 2018, alors qu’un blindé de la Monusco impliqué dans un accident de circulation, transportait des sacs contentant du sable et pas de la matière première. L'analyse approfondie des images incriminant la Monusco d'exploitation minière illégale en RDC, révèle qu'il s'agit d'une manipulation visant à discréditer l'organisation. Cette campagne de désinformation s'inscrit dans un contexte de méfiance croissante envers la Monusco, alimentée par des accusations d’inefficacité. Il est crucial de s'appuyer sur des sources d'information fiables pour éviter d'attiser des tensions, des troubles et des manifestations dans des régions déjà fragiles à cause de la guerre.
Édité par Daniel Makeke