Contexte
Le 23 mai 2025, l’ancien président de la République, Joseph Kabila Kabange, s’était adressé à la nation dans un discours d’environ une heure, au cours duquel il avait présenté, selon ses propres termes, le bilan de l’état actuel du pays. Parallèlement, un procès a été ouvert contre lui devant le tribunal militaire de Kinshasa. Il y est accusé de haute trahison et de soutien présumé à la rébellion de l’AFC/M23, notamment pour être apparu publiquement en mai dernier aux côtés des autorités de ce mouvement à Goma, une ville alors sous leur occupation.
C’est dans ce contexte judiciaire et politique tendu qu’une publication montrant un communiqué a largement circulé sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et X, le dimanche 14 septembre 2025. Elle présentait un communiqué solennel attribué à Joseph Kabila, dans lequel il aurait annoncé son retour sur la scène politique nationale après près de sept ans d’absence.
Après analyse et recoupement auprès de la porte-parole de Joseph Kabila et de plusieurs de ses proches, Eleza Fact a confirmé que cette annonce n’est pas authentique et ne provient pas de l’ancien président.
Origine de l’infox
La déclaration solennelle a été mise en ligne par un compte X parodique attribué à Joseph Kabila Kabange. La publication présentait deux images : l’une montrant le communiqué et l’autre une photo de Joseph Kabila prise lors de son discours du 23 mai 2025. La légende accompagnant la publication reprenait le texte du communiqué tel qu’il apparaissait sur l’image.
L’information a directement été largement partagée sur plusieurs pages Facebook et comptes X. Tous les comptes à l’origine de l’infox ont diffusé deux images : l’une montrant la prétendue déclaration solennelle, et l’autre, une photo de Joseph Kabila choisi au hasard. La légende accompagnant le communiqué, dans toutes ces publications, reprenait intégralement la déclaration telle qu’elle figurait dans ledit communiqué.
Le communiqué annonce : « Déclaration solennelle.
Congolaises, Congolais. J’ai quitté le pouvoir en respectant la Constitution et en laissant la place à une alternance pacifique.
Beaucoup ont cru que c’était la fin de mon parcours politique. Mais je vous dis aujourd’hui : ce n’était qu’une pause. J’ai vu, comme vous, l’état de notre pays depuis mon départ : les promesses non tenues, les divisions, les souffrances qui s’aggravent. Ceux qui m’ont remplacé n’ont pas apporté la paix ni la prospérité. Je ne peux plus rester spectateur. C’est pourquoi j’annonce solennellement : je suis prêt à reprendre les responsabilités suprêmes de la Nation.
Pas pour moi, mais pour restaurer l’autorité de l’État, pour protéger chaque Congolais, et pour que nos richesses profitent enfin à nos enfants. Certains diront que je cherche à reprendre ce que j’ai déjà eu. Mais je leur réponds : je reviens parce que le Congo est en danger, et parce que j’ai l’expérience et la force nécessaires pour le sauver. Je vous appelle à vous préparer. Ensemble, nous allons reprendre le destin de notre pays en main. Je n’ai pas peur des critiques, je n’ai pas peur des menaces. Ce qui m’importe, c’est que le Congo vive debout.
Je reviens. Et je reviendrai jusqu’à ce que le peuple retrouve la dignité qui lui est due.
Joseph Kabila Kabange
Ancien Président de la République Démocratique du Congo ».
Les légendes appuyant ces publications varient selon les auteurs. Sur la page de l’opération d’autodéfense Mai-Mai, la légende accompagnant la publication déclare : « Lorsque je dis que Joseph Kabila se bat pour reprendre le pouvoir à n'importe quel sacrifice, on m’insulte en demandant de lui laisser la paix car il ne fait rien contre le régime actuel. Mais en lisant sa déclaration solennelle d’aujourd’hui 14 septembre 2025, c’est tout à fait normal qu’il est déterminé à tout faire pour reprendre le pouvoir. Voici sa déclaration solennelle ».
Sur cette page, la publication a suscité une vive polémique. Au lundi 15 septembre 2025, elle avait cumulé plus de 1 300 mentions J’aime, plus de 1 000 commentaires et 68 partages.
Les commentaires prouvent que les internautes ont cru à l’information. On peut, par exemple, lire : « Il va reprendre le pouvoir pck toi Congolais, tu n’as jamais eu l’ambition de diriger le Congo, malheureusement pour lui, on est éveillé maintenant »(sans correction). Ou encore : « C’est du rêve que vous extrapolez de revenir au pouvoir un criminel qui a aliéné beaucoup d’âmes de Congolais. Allez y faire le business au Rwanda avec votre collègue Kagame ».
Démenti de l’entourage de Joseph Kabila
Dans une publication sur X (archivée ici), Barbara Nzimbi, la porte-parole de l’ancien chef d’État congolais, a tenu à éclairer l’opinion publique concernant cette information et le communiqué attribué à Joseph Kabila : « Il circule sur la toile plusieurs publications attribuées faussement au sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange. J’informe le public que toute sortie médiatique est régulée par le bureau de communication de l’ancien Chef de l’État que je dirige ».
Par ailleurs, Barnabé Kikaya Bin Karubi, ancien secrétaire particulier de Joseph Kabila et présenté comme très proche de ce dernier, a également tenu à éclairer l’opinion publique concernant cette déclaration attribuée à Joseph Kabila. Dans un post sur X (archivé ici), il a partagé le démenti de Barbara Nzimbi, en l’appuyant d’un extrait d’un ancien discours de Joseph Kabila : « Joseph Kabila Kabange, ancien Président de la République, reste égal à lui-même. Puis-je me permettre de le paraphraser : ‘Je ne parle que si ce que j’ai à dire est plus important que le silence.’ Paroles d’une sagesse qui surprend même les plus grands philosophes, et ce malgré son jeune âge ».
Un compte parodique, à l'origine de la désinformation
Bien que certifié, le compte nommé Joseph Kabila Kabange n’est pas authentique. Sur son profil, il est clairement indiqué qu’il s’agit d’un compte parodique. En mai 2025, Eleza Fact a pris l’initiative de contacter Barbara Nzimbi, porte-parole de Joseph Kabila, quant à l'authentification de ce compte. Celle-ci a confirmé qu’il s’agit bien d’un compte parodique, non officiel et non reconnu par l’ancien président : « Ce compte, même s’il est certifié, est un faux. Il ne cesse de publier de fausses informations au nom du Président Joseph Kabila. Je l’ai déjà signalé à plusieurs reprises sur mon propre compte X. Nous travaillons actuellement sur un mécanisme pour qu’il soit définitivement suspendu, voire totalement banni », a-t-elle déclaré.
Procès de Joseph Kabila : entre quête de justice et tempête politique
Cette tôlée survient alors que Joseph Kabila fait l’objet d’un procès par contumace. Le procès de Joseph Kabila, (archivé ici) ancien président de la République démocratique du Congo et sénateur à vie, s’est ouvert le 25 juillet 2025 devant la Haute Cour militaire à Kinshasa. Le procès se déroule par contumace, Joseph Kabila n’ayant pas répondu aux convocations des autorités judiciaires. Il est donc jugé en son absence, tandis que la partie civile, représentant la République, plaide pour que justice soit rendue (archivé ici). Cette ouverture de procès fait suite à la levée de ses immunités parlementaires par le Sénat en mai 2025 (archivé ici), décision qui a permis aux magistrats militaires de le poursuivre officiellement.
Les accusations portées contre Joseph Kabila (archivé ici) sont multiples et particulièrement lourdes. Elles incluent la trahison, la participation à un mouvement insurrectionnel, des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, l’homicide intentionnel, le viol, la torture, la déportation de populations civiles, l’apologie de crimes et même l’occupation militaire de la ville de Goma. Le ministère public, estimant la responsabilité de l’ancien président établie, a requis la peine de mort, en plus d’autres peines de prison pour les différents chefs d’accusation.
Les partisans de Joseph Kabila considèrent ces poursuites comme une manœuvre de règlement de comptes politiques visant à écarter définitivement l’ancien chef de l’État de la scène politique congolaise (archivé ici). Ils dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une instrumentalisation de la justice et une violation de ses droits fondamentaux, soulignant que les conditions d’un procès équitable ne seraient pas réunies. De leur côté, les autorités affirment que cette procédure illustre la volonté de l’État de rompre avec l’impunité et de rendre justice pour les crimes graves qui ont marqué les conflits à l’Est du pays.
Conclusion
Grâce à une vérification auprès de proches de Joseph Kabila et à une recherche visant à authentifier le compte à l’origine de la déclaration, Eleza Fact a établi que cette annonce solennelle, prétendument attribuée à l’ancien président Joseph Kabila et annonçant son retour sur le premier plan de la scène politique congolaise, n’est pas authentique. Elle n’est ni reconnue ni approuvée par Joseph Kabila ou son entourage, qui la rejettent totalement.
Cette démarche met en évidence l’importance de rester vigilant face aux contenus publiés par certains comptes se réclamant d’autorités ou de personnalités publiques. De nombreux faux comptes sont créés en leur nom afin de diffuser des messages trompeurs et de propager la désinformation.