Contexte
L’AFC/M23 maintient ses positions dans l’est de la République Démocratique du Congo, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Le 3 juin dernier, une image largement partagée sur Facebook montrait plusieurs dizaines d’hommes entassés dans une petite pièce sombre, allongés les uns contre les autres à même le sol, sans matelas ni espace personnel, tandis que deux hommes debout semblaient les surveiller. La légende accompagnant cette photo affirmait qu’il s’agissait de nouvelles recrues de l’AFC/M23 pour la formation idéologique de Rumangabo.
Toutefois, Eleza Fact a soumis l’image à une vérification via l’outil Google Lens, qui a révélé des correspondances antérieures. Ces résultats prouvent que l’image ne concerne pas la situation actuelle à l’est de la RDC, et qu’elle a été sortie de son contexte.
Source de l’infox
L’image a été mise en ligne sur le compte Facebook “Muzalendo WA Kivu” comptant actuellement plus de 4000 amis. Ce compte publie régulièrement des contenus en rapport avec la situation politique et sécuritaire de l’est de la RDC. « VOICI LA CONDITION DES CONGOLAIS QUI SONT ALLÉS DANS LA FORMATION IDEOLOGIQUE DE AFC-M23 À RUMANGABO (Plusieurs sont morts et d'autres ont pris fuite en Uganda) QUELLE FORMATION UN RWANDAIS PEUT DONNER À UN CONGOLAIS ? POUR QUEL INTERET? À rumangabo les jeunes et les vieux qui ont été embarqués vivent une vie miserable, donc la condition de dormir, la façon de manger et de se laver sont très très compliquées. Plusieurs meurent par manque de soins médicaux, l'endroit est sale, pas des assistances alimentaires. LA PATRIE OU LA MORT NOUS VAINCRONS » (Sans correction), confirme la légende accompagnant l’image.
Au 21 juin, la publication a été partagée plus de 20 fois, avec plus de 100 commentaires, dans lesquels plusieurs internautes se montrent favorables à la rumeur.
Cette même image a été partagée dans le groupe Facebook “Radio France Internationale” par “RD Congo mon pays” portant la même légende.
Une image prise à la prison de Bindura au Zimbabwe en juin 2022
Eleza Fact, ayant soumis l’image à la vérification via Google Lens, a retrouvé plusieurs correspondances datant de 2022, localisant l’image au Zimbabwe.
La première correspondance apparaît dans une publication Facebook (archivé ici) du 07 juin 2022, faite par Hopewell Chin’ono, journaliste international, producteur de reportages et documentaires, collaborateur du New York Times. Dans cette publication, il déplore la situation des prisonniers au Zimbabwe, précisant qu’il avait lui-même été victime de ce traitement pendant 85 jours.
La seconde correspondance a été publiée le 08 juin 2022 dans un article (archivé ici) du média zimbabwéen iHarare.com, qui mentionne que l’image prise par Hopewell Chin’ono montrait les conditions dans lesquelles les prisonniers dormaient à la prison de Bindura, connue officieusement sous le nom de prison de Chawagona Hapana, située dans la province de Mashonaland Central au Zimbabwe.
La chaîne YouTube Prince Miller Entertainment TV (archivé ici) a également repris l’image dans une vidéo publiée le même jour, précisant qu’il s’agissait des détenus de la prison de Bindura, montrant leurs conditions de couchage.
Par ailleurs, nous avons trouvé une vidéo publiée aussi le 08 juin 2022 sur le compte TikTok Punchstarentertainment (archivé ici), qui montre tous les angles de la cellule dans laquelle l’image a été prise.
D’autres correspondances apparaissent dans des articles publiés le 11 juin 2022 par les médias zimbabwéens Africa Press (archivé ici) et Pindula (archivé ici), qui ont utilisé l’image à titre illustratif, en rapport avec la visite organisée par la Commission du service judiciaire (JSC) pour commémorer ses 12 ans d’existence au Zimbabwe. Lors de cette visite, les détenus avaient profité de l’occasion pour faire part de leurs préoccupations devant la magistrate en chef Faith Mushure, soulevant un certain nombre de plaintes, notamment les mauvaises conditions dans lesquelles ils vivent, en raison du surpeuplement des prisons zimbabwéennes dépassant largement leur capacité d’accueil.
Sur X, certains internautes ont également utilisé cette image pour dénoncer les conditions d’incarcération dans les prisons du Zimbabwe. C’est le cas de The Instigator (archivé ici), qui a publié l’image dans un post du 11 avril 2023, avec pour légende : « Zimbabwean jails », ce qui signifie en français : « Prisons zimbabwéennes ».
Il sied de préciser que le Rapport sur les droits humains de 2023 concernant le Zimbabwe (archivé ici) a révélé que les conditions de sommeil dans les prisons du pays étaient extrêmement dures et dégradantes. Les détenus dormaient souvent à même le sol froid, sans couvertures, notamment dans des établissements comme la prison de Bindura, qui accueillait plus de quatre fois sa capacité prévue. Les infestations de poux étaient fréquentes, et la literie – lorsqu’elle existait – était souvent sale et non lavée. La surpopulation, l’infrastructure vétuste et le manque de produits d’hygiène aggravaient encore ces conditions précaires. Les températures froides, combinées à l’absence de couvertures adéquates, entraînaient des problèmes de santé graves, parfois mortels. Les détenus en attente de procès, souvent privés de liberté sous caution pendant des années, s’entassaient dans des cellules surpeuplées, réduisant encore l’espace de repos disponible. Le rapport souligne que les services pénitentiaires du Zimbabwe ne fournissaient pas de soins ou de matériel supplémentaires, comptant uniquement sur les dons occasionnels d’ONG. Ces conditions de sommeil illustrent un échec structurel plus large à garantir un traitement humain et le respect de la dignité des personnes incarcérées.
Conclusion
Après vérification, Eleza Fact a établi que l’image prétendant montrer les conditions de vie de nouvelles recrues de l’AFC/M23 à Rumangabo a été sortie de son contexte. Grâce à Google Lens, plusieurs correspondances datant de juin 2022 ont été retrouvées, confirmant que l’image a été prise à la prison de Bindura, au Zimbabwe, et largement relayée par des sources crédibles, dont le journaliste Hopewell Chin’ono, identifié comme l’auteur de la photo.
Dans un contexte aussi sensible que celui du Nord et du Sud-Kivu, l’usage détourné de cette image constitue un acte de désinformation susceptible d’alimenter l’instabilité et d’attiser la peur au sein des communautés locales. Il est donc essentiel de toujours vérifier l’origine d’une image avant de la relayer.
Édité par Daniel Makeke