Contexte
En pleine recrudescence des tensions dans l’est de la République démocratique du Congo, alors que des frappes aériennes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont été signalées le jeudi 23 octobre 2025 contre des positions du M23 à Busika, territoire de Walikale, et la nuit du 20 au 21 octobre à Kalembe , territoire de Masisi – frappes dénoncées par le M23 comme une violation du cessez-le-feu signé à Doha – une vidéo devenue virale depuis le samedi 25 octobre prétend montrer une attaque de drone dans une zone montagneuse ciblant des positions du M23. La narration en swahili qui accompagne la séquence affirme que “les FARDC et les Wazalendo frappent uniquement avec des drones les M23” et que “les Rwandais n’ont nulle part où aller.”
Mais après une vérification indépendante menée par Eleza Fact visant à établir les faits, combinant analyse d’images, recherche inversée et recoupement des publications antérieures. Il s’est avéré que la vidéo diffusée n’a aucun lien avec ces opérations : elle provient d’un conflit armé au Myanmar (Ex Birmanie), filmée plusieurs semaines avant les récentes frappes du Nord-Kivu.
Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux
Sur Facebook, la page “RD.Congo mon pays” a publié la vidéo le 25 octobre 2025 à 12 h 07. Elle cumule au 26 octobre plus de 148 000 vues, 4 700 likes, 327 commentaires et 239 partages. La légende qui accompagne la vidéo se veut patriotique : « Urgent terrible, la patrie ou la mort! Nos héros Wazalendo et FARDC sont plus que jamais déterminés à défendre la terre sacrée du Congo ! Dans cette vidéo, les rebelles M23 soutenus par le Rwanda sont bombardés sans pitié par nos vaillants résistants. Le Congo ne se soumettra jamais aux envahisseurs ! »
Cette séquence a également été partagée, à la même date, dans le groupe "Infos Goma wazalendo contre M23" (30 000 abonnés, avec 109 partages, 299 mentions “ j’aime” au 25 octobre) où l’on distingue le nom du compte TikTok @Kanumbadrc2 affiché sur la vidéo. En consultant ce compte, Eleza Fact a retrouvé la vidéo d'origine publiée le 25 octobre, et cumulant 2 770 vues, 109 partages et 27 commentaires, dont plusieurs sceptiques sur son authenticité.
Sur X, la même vidéo a été publiée le 25 octobre 2025 par le compte "DRC News Today", où elle a été vue, au 26 octobre, plus de 4 700 fois et repostée 26 fois.
Une vidéo du Myanmar détournée de son contexte
Pour vérifier l'origine de la vidéo, Eleza Fact a réalisé une recherche d'image inversée sur des captures d'écran clés via Google Lens et Bing. Cette recherche a mené à une vidéo publiée le 10 octobre 2025 sur la chaîne YouTube Birmane Khureh oo (archivée ici), avec une légende en birman signifiant : « Même les pères et les fils des braves sont perdus ».

Capture d’une vidéo YouTube de la chaîne Birman Khureh oo , réalisée par Eleza Fact, qui a diffusé la même vidéo le 10 octobre
D'autres vidéos antérieures à celle-ci, présentant le même décor, les mêmes tirs et explosions, ont été trouvées, mais sous un angle différent. L'une d'elles apparait dans une publication Instagram du compte Ting-Kampee (documentée ici), partagée également sur le compte Facebook Thing Khampe (archivée ici) le 15 septembre 2025 par le même utilisateur faisant également référence au Myanmar (Ex-Birmanie) et contenant une légende écrite en shan, une langue principalement parlée dans l’État de Shan, au Myanmar, où on lit : « Armée révolutionnaire de l'armée birmane », décrivant ainsi une attaque menée dans le cadre du conflit interne opposant les forces rebelles à la junte militaire au pouvoir au Myanmar.

Capture d’écran de la vidéo, réalisée par Eleza Fact, publiée sur Instagram du compte Ting-Kampee publiée le 15 septembre 2025
Une autre séquence identique a été diffusée le 3 octobre 2025, sur le compte Facebook Khŭn Røcbêrt Nâing (archivée ici) avec la légende en birman: « Les paysages sont beaux, c'est la cérémonie de clôture du camp [Ndlr, camp ennemi ] ».

Capture d'écran de la vidéo, réalisé par Eleza Fact, publiée sur le compte Facebook Khŭn Røcbêrt Nâing
Contexte politique au Myanmar
Le Myanmar (appellation de la birmanie depuis 1989) traverse depuis février 2021 une profonde crise politique née du coup d’État militaire du général Min Aung Hlaing, qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi et mis en place le Conseil d’administration de l’État (SAC). En réaction, un gouvernement parallèle, le Gouvernement d’unité nationale (NUG), soutenu par diverses forces de défense du peuple (PDF) et organisations ethniques armées, a lancé une guerre de résistance contre la junte.
Les combats se sont intensifiés dans plusieurs régions, notamment dans l’État Shan, théâtre d’affrontements entre la junte et des groupes tels que l’Armée de libération nationale Ta’ang (TNLA). Privée de contrôle sur de vastes zones, la junte a accru son recours aux frappes aériennes et aux drones, souvent contre des zones civiles, entraînant plus de 2 millions de déplacés depuis 2021.
Usage des drones dans l’État Shan au Myanmar
Dans l’État Shan, où la vidéo a été filmée, l’usage des drones est devenu courant dans les opérations militaires. Selon la Shan Human Rights Foundation, entre le 6 février et 7 mars 2025, des frappes de drones et d’artillerie ont fait 17 morts et 41 blessés civils dans les zones de Nawngkhio, Mong Mit et Mogok. La Shan Herald Agency for News rapporte qu’en juillet 2025, des drones ont d’abord survolé des villages avant des bombardements, à Nawnghkio. Dans le sud de Shan, la junte a aussi déployé des “suicide drones” explosifs, selon Democratic Voice of Burma, et des drones chimiques contenant de l’aluminium phosphide, d’après les Free Burma Rangers. Cette utilisation de drones a conduit à une augmentation des activités de drones dans les zones de conflit, d’après le rapport de Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet indépendant de collecte et d’analyse de données sur les conflits dans le monde, le Myanmar étant classé au troisième rang mondial pour le nombre d’événements liés aux drones juste derrière l'Ukraine et la Russie.
Ces éléments confirment que la séquence analysée provient bien du conflit birman, où les frappes des drones sont fréquentes, et non du théâtre d’opérations congolais.
Verdict
La vidéo partagée comme une preuve d’une frappe de drone menée par les FARDC et les Wazalendo contre le M23 n’a aucun lien avec la RDC. Elle provient du Myanmar, où elle a été mise en ligne plusieurs semaines avant les frappes réelles des FARDC à Busika et Kalembe et documente un épisode des affrontements entre la junte militaire et les forces rebelles dans l’État Shan. Les images ont donc été sorties de leur contexte d’origine et réutilisées pour illustrer à tort une offensive congolaise.
Face à ce type de désinformation, chacun a un rôle essentiel à jouer. Avant de partager une publication, il est important de vérifier sa source, de rechercher si d’autres médias fiables en parlent, et de se méfier des contenus émotionnels ou trop spectaculaires. Les plateformes sociales peuvent être de formidables outils d’information, mais aussi des terrains fertiles pour la manipulation.
