Contexte
Alors que son verdict a été prononcé le 2 septembre dernier par la Cour de cassation, l’ancien ministre de la Justice et garde des Sceaux, Constant Mutamba, a été condamné à trois ans de travaux forcés et à cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics. Il a été reconnu coupable d’avoir détourné des fonds initialement alloués à la construction d’une prison à Kisangani. Tout au long de son procès, Constant Mutamba a rejeté les accusations portées contre lui.
Après sa condamnation, plusieurs images et vidéos trompeuses ont circulé sur les réseaux sociaux. Certaines d’entre elles affirmaient, à tort, que l’ancien ministre avait été acquitté. Un internaute, par exemple, a publié sur TikTok une vidéo montrant Constant Mutamba escorté par la police, accompagnée d’une légende laissant croire que le président Félix Tshisekedi est intervenu en sa faveur et que l’ex-ministre sera bientôt libéré.
Or, après une analyse approfondie menée par Eleza Fact, il ressort que les propos attribués au président Félix Tshisekedi dans cette vidéo n’ont aucun lien avec l’affaire Mutamba. Ils concernent en réalité l’arrestation du journaliste Stanis Bujakera, et non la condamnation de l’ancien ministre de la Justice.
La vidéo virale
La vidéo a été publiée sur TikTok par l’utilisateur Grams Mandala Kitunu, dont le compte a plus de 9 400 abonnés, 3 614 suivis et environ 33 500 mentions “J’aime”. Cet utilisateur partage régulièrement des contenus liés à l’affaire Constant Mutamba ainsi qu’à d’autres sujets d’actualité. Dans la séquence en question, on peut lire : « Enfin, Félix Tshisekedi parle pour Constant Mutamba. Dans quelques jours, Constant Mutamba sera libéré ».
La vidéo a rencontré un fort écho, enregistrant plus de 14 000 mentions “J’aime”, environ 376 commentaires, plus de 1 140 sauvegardes et plus de 1 300 partages.
Par ailleurs, plusieurs internautes qui ont commenté la publication semblent convaincus de la véracité de cette information. L’un d’eux affirme : « Tshisekedi a peur de vivre la situation du Népal. Il commence à comprendre que Mutamba sera président et peut le renverser. Il a peur. » Un autre ajoute : « Continuons toujours de prier pour notre Mutamba et enfin tout changera. Les 3 ans seront réduits à 3 mois. »
Une déclaration sur Bujakera
Dans notre démarche de vérification, nous avons d’abord effectué une recherche sur Google en utilisant des mots-clés tels que « notre justice, elle est malade même dans le traitement des dossiers », afin de vérifier si le président Félix Tshisekedi avait pris publiquement position sur l’affaire concernant Constant Mutamba.
Les résultats nous ont conduits vers une vidéo du briefing de presse spécial (archivé ici) animé par le ministre de la Communication et Médias, Patrick Muyaya, le 22 février 2024. Ce briefing constituait la première prise de parole du président Tshisekedi devant la presse après sa réélection.
La même information a été reprise dans un article de Radio Okapi (archivé ici) publié le 24 février 2024, qui rapporte : « Le chef de l’État congolais, Félix Antoine Tshisekedi, a annoncé, jeudi 22 février, lors du briefing de presse spécial avec le ministre de la Communication, qu’il allait se mêler personnellement du dossier judiciaire du journaliste Stanis Bujakera, arrêté depuis plusieurs mois. Il a affirmé que “le journaliste Stanis Bujakera est peut-être victime du dysfonctionnement de la justice congolaise”, promettant de s’enquérir dès le vendredi 23 février de son cas auprès de la justice qu’il qualifie de malade. Le président a toutefois rappelé que ce n’est pas dans ses habitudes de se mêler des dossiers judiciaires. »
Un autre article du média Jeune Afrique (archivé ici) confirme cette information, précisant : « En RDC, Félix Tshisekedi met le nez dans le dossier Stanis Bujakera Tshiamala. Alors qu’une nouvelle audience doit se tenir ce 23 février dans le procès de notre correspondant à Kinshasa, le président congolais pointe les dysfonctionnements de la justice ».
Ainsi, au cours de ce briefing de presse spécial (archivé ici) consacré à plusieurs sujets d’actualité et partagé également sur la page Facebook Lionne Info, le chef de l’État congolais a clairement déclaré qu’il allait s’impliquer personnellement dans le dossier du journaliste Stanis Bujakera, longtemps avant l’affaire Constant Mutamba.
Après avoir consulté plusieurs médias crédibles, Eleza Fact n’a trouvé aucune trace d’une déclaration attribuant au président Félix Tshisekedi des propos liés à l’affaire Constant Mutamba.
Les propos du président, diffusés dans la vidéo en circulation, ont été sortis de leur contexte. Ils concernaient uniquement l’affaire du journaliste Stanis Bujakera, et n’ont aucun lien avec la condamnation de Constant Mutamba.
Retour sur l’arrestation de Stanis Bujakera
Le journaliste Stanis Bujakera a été arrêté (archivé ici) le 8 septembre 2023 après la parution dans Jeune Afrique d’un article lui étant attribué, en lien avec la mort de l’opposant Chérubin Okende. Poursuivi pour contrefaçon, faux, usage de faux et propagation de faux bruits, il a été condamné à six mois de prison avant d’être libéré le 19 mars 2024 de la prison de Makala, qu’il a décrite comme un véritable « mouroir, antichambre de l’enfer », dénonçant les conditions inhumaines de détention des prisonniers.
Trois ans de travaux forcés pour Constant Mutamba
La justice congolaise a condamné son ancien patron, l’ex-ministre de la Justice Constant Mutamba (archivé ici) à trois ans de travaux forcés et cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics. L’ex-garde des sceaux de la RDC ne pourra pas prétendre à un poste d’éligibilité ou exercer son droit de vote dans son pays pendant au moins cinq ans, selon le verdict de la Cour de cassation.
Une décision qui va déteindre sur la carrière politique de Constant Mutamba qui, lors du procès, a également estimé qu’il est victime de « réseaux mafieux » hostiles aux réformes judiciaires qu’il avait initiées avec le portefeuille de la justice qu’il détenait.
Tout au long de son procès, Constant Mutamba s’est fait des partisans qui l’ont soutenu. Des heurts avaient même éclaté autour de sa résidence la veille du prononcé du verdict, entre les forces de l’ordre et ses partisans, lorsque le procureur général près la Cour de cassation l’a placé en résidence surveillée.
Conclusion
L’information selon laquelle le président Félix Tshisekedi s’est prononcé sur l’affaire Constant Mutamba et que dans quelques jours celui-ci sera libéré est fausse. Après avoir fait une analyse approfondie quant à ce, Eleza Fact a retrouvé l’origine réelle des propos du président. Il s’agissait en fait d’une déclaration ténue sur l’arrestation du journaliste Stanis Bujakera que le président Félix Tshisekedi a, lors d’un briefing presse, décidé de s’imprégner de la situation, et ne concerne en aucun cas l’affaire de l’ancien ministre de la Justice et garde des sceaux, Constant Mutamba.
Cette vérification démontre l’importance de toujours vérifier une information avant de la partager. Les fausses nouvelles peuvent alimenter la désinformation, manipuler l’opinion publique.