Contexte
Le 25 juillet 2025 s’est ouvert à Kinshasa un procès (archivé ici) contre l’ancien président Joseph Kabila Kabange, jugé par la Haute Cour militaire de la République démocratique du Congo, celui-ci ayant été accusé de crimes graves, parmi lesquels haute trahison, complicité des crimes de guerre…
Après près de deux mois d’audiences tendues, marquées par des témoignages explosifs et une forte couverture médiatique, la sentence (archivée ici) est tombée le 30 septembre 2025 : Joseph Kabila a été condamné à mort par contumace, la cour estimant qu’il s’était soustrait à la justice en refusant de comparaître.
Dès le 6 octobre 2025, plusieurs comptes Facebook, pages d’actualité et publications sur Facebook et X (ancien Twitter) ont relayé un message selon lequel l’AFC/M23 a, à son tour, décidé d’organiser un procès contre le président Félix Tshisekedi à Goma. Les auteurs de ces publications affirment que le chef de l’État congolais serait accusé de crimes contre les Wazalendo, de meurtres de prisonniers à Makala et d’autres violations graves des droits humains.
Des vérifications ont été menées par Eleza Fact, notamment en contactant des sources proches de l’AFC/M23 et la présidence de la république, ainsi qu’en consultant les médias fiables. Les résultats attestent que ces allégations sont infondées.
Allégations partagées
La page Facebook “le peuple parle”, suivie par plus de 177 000 abonnés, a affirmé, dans une publication faite le 6 octobre dernier, qu’un procès a été lancé par l’AFC/M23 contre Félix Tshisekedi. Elle allègue : « RDC URGENT yiki yiki/L'AFC-M23 décide d'organiser un procès contre le Président de la RDC, Félix Tshisekedi ! À l'est de la RDC, le M23 a pris la décision de juger Félix Tshisekedi. Il est accusé de plusieurs crimes, notamment le massacre des Wazalendo, le meurtre des prisonniers de Makala et autres ».
Ce poste a suscité plusieurs interactions, dont plus de 8 500 mentions “j’aime”, plus de 2 500 commentaires et 173 partages (statistiques observées mercredi 22 octobre 2025 à 21h30 de Kinshasa).
Certains internautes pensent que cette affirmation est vraie. L’un d’eux écrit en commentaire : « Qu'ils arrêtent la distraction, on a pas besoin de ça ! Qu'ils viennent le déloger point barre » (sans correction).
D’autres, par contre, doutent de la véracité de ces allégations . « Êtes-vous sûrs ? », s’interroge l’un d’eux en commentaire.
Aucun procès n’a été ouvert contre Félix Tshisekedi à Goma
Depuis la reprise des hostilités dans l’Est du pays, la ville de Goma et une partie du Nord-Kivu connaissent une paralysie quasi totale du système judiciaire officiel. La majorité des instances judiciaires, tribunaux de paix, parquets, cours d’appel et même certaines sections de la Haute Cour militaire ont dû fermer ou suspendre leurs activités (archivée ici) en raison de l’insécurité persistante et du déplacement des autorités. Dans un tel contexte, l’organisation d’un procès régulier est matériellement impossible, faute d’institutions fonctionnelles et de magistrats en poste.
C’est d’ailleurs dans ce vide institutionnel que l’AFC/M23 a annoncé vouloir instaurer sa propre structure judiciaire. Le 14 septembre 2025 à Goma, le mouvement a organisé un test d’évaluation (archivée ici) pour 540 candidats magistrats, dans le cadre d’un processus instructif après l’étude de plus de 1 000 dossiers. Le test était piloté par la Commission de Relance de la Justice (CRJ) installée par le mouvement.
Lors de cette cérémonie, les dirigeants de l’AFC/M23 ont annoncé officiellement le lancement de leurs activités judiciaires dans les territoires sous son contrôle, affirmant vouloir garantir l’accès équitable à la justice et reconstituer des juridictions de droit civil et pénal.
Cependant, aucune preuve ne vient appuyer les affirmations faisant état d’un procès engagé par l’AFC/M23 contre le président Félix Tshisekedi et l’AFC/M23 n’a fait aucune annonce de cette nature sur ses plateformes.
Pour vérifier les allégations concernant un prétendu procès ouvert contre le président de la République Félix Tshisekedi, Eleza Fact a tenté de joindre Tina Salama, porte-parole du président de la République qui jusqu’à ce jour n’a pas répondu à notre sollicitation.
Nous avons également pris contact avec la cellule de communication de l’AFC/M23, via Joël Kiseso qui a qualifié ces affirmations de fausses. « C'est faux », a-t-il brièvement répondu.
Depuis la prise de la ville de Goma en janvier dernier par l’AFC/M23, le gouvernement congolais avait fermé la majorité d’instances judiciaires, tribunaux de paix, parquets, cours d’appel et même certaines sections de la Haute Cour militaire.
Ce que prévoit la constitution en RDC
En République démocratique du Congo, le président en exercice ne peut être poursuivi que pour des infractions politiques graves, notamment la haute trahison, l’outrage au Parlement, l’atteinte à l’honneur ou à la probité, ainsi que le délit d’initié. La Constitution à son article 164 et la loi organique fixent les modalités (archivées ici) de cette procédure, confiant à la Cour constitutionnelle la compétence exclusive pour en juger ces actes, ce, après avoir obtenu la levée des immunités et l’autorisation de poursuite à son encontre. Durant l’exercice de ses fonctions, le président de la République bénéficie d’une immunité, conformément à l’article 107, qui précise qu’il ne peut être poursuivi pour des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, sauf en cas de mise en accusation ou de destitution pour l’une des infractions politiques prévues par la loi.
La mise en accusation du président de la République doit être votée par le Parlement réuni en Congrès (Assemblée nationale et Sénat), à la majorité des deux tiers des membres. Une fois la mise en accusation votée, la Cour constitutionnelle est saisie et peut alors juger le chef de l’État — ce qui implique la levée de son immunité.
Article 107 : « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. [...] Il ne peut être poursuivi pour des faits antérieurs à son mandat ou pour des actes accomplis dans l’exercice de celui-ci qu’après la cessation de ses fonctions, sauf en cas de haute trahison. »
Article 166 : « La Cour constitutionnelle est compétente pour juger le Président de la République et le Premier ministre en cas de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité, ou de délits d’initiés. »
Article 167 : « La mise en accusation du Président de la République ou du Premier ministre est votée par le Parlement réuni en Congrès à la majorité des deux tiers des membres qui le composent. »
Ceci exclut l’idée des poursuites prétendues, amorcées par l’AFC/M23.
De plus, aucun média local ou international plus ou moins fiable n’a fait mention d’un tel procès.
Conclusion
Les vérifications menées démontrent que la rumeur affirmant l’ouverture d’un procès par l’AFC/M23 contre le président Félix Tshisekedi à Goma est infondée. Aucun média crédible, ni local ni international, n’a relayé d’informations allant dans ce sens, et aucune instance judiciaire officielle ne fonctionne actuellement à Goma depuis la reprise des hostilités dans la région.
Bien que l’AFC/M23 ait récemment lancé un recrutement de magistrats dans le cadre d’une relance de la justice sous son contrôle, aucun procès de nature politique ou pénale visant le chef de l’État n’a été confirmé. Les démentis obtenus auprès de la cellule de communication de l’AFC/M23 confirment d’ailleurs qu’il s’agit d’une fausse information, née probablement d’une interprétation abusive du contexte judiciaire actuel.
Dans un climat aussi tendu que celui de l’Est de la RDC, ce type de désinformation contribue à nourrir la méfiance et la polarisation politique, tout en compromettant les efforts de paix et de stabilisation en cours. Il reste donc essentiel de vérifier les sources avant de relayer des affirmations sensibles susceptibles d’alimenter les tensions.
