Contexte
Le 10 décembre dernier a marqué une évolution importante de la situation sécuritaire dans la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo, avec notamment l’occupation de la ville d’Uvira par les éléments de l’AFC/M23. Cette avancée a contraint l’armée congolaise ainsi que certaines autorités provinciales installées à Uvira à se replier hors de la ville pour des raisons de sécurité. Dans ce contexte tendu, une vidéo montrant un avion monomoteur blanc roulant sur un terrain herbeux, devant une colline densément couverte de végétation, a été largement partagée sur Facebook le 12 décembre. La séquence est accompagnée d’une légende affirmant qu’il s’agirait des autorités politiques et militaires congolaises, prétendument cachées dans la brousse, prenant la fuite par voie aérienne après l’occupation d’Uvira par le M23, une affirmation qui a rapidement suscité des réactions et interrogations.
Des vérifications techniques et visuelles effectuées par Eleza Fact à l’aide de Google Lens ont permis d’établir que cette vidéo a été utilisée hors de son contexte original. Les analyses montrent que l’avion concerné n’opère pas en Afrique et qu’il est en réalité localisé principalement en Indonésie, ce qui remet fondamentalement en cause les allégations associées à cette publication.
Origines de la désinformation
La vidéo, d’une durée de 14 secondes, a été publiée sur la page Facebook Echo Presse, une page qui compte plus de 13 000 abonnés et qui partage régulièrement des contenus culturels, politiques et sportifs liés à l’actualité de la RDC.
« RDC : Fuite discrète d’autorités à Uvira. Alors que les rebelles du M23 affirment contrôler la ville d’Uvira (Sud-Kivu), plusieurs autorités locales et militaires, cachées depuis plusieurs heures en brousse près de la frontière burundaise, ont quitté la zone discrètement par voie aérienne. Selon vous, cette fuite pourrait-elle déstabiliser davantage la région ? », indique la légende accompagnant la vidéo. Le post enregistre plus de 348 000 vues, plus de 3 000 mentions « j’aime », plus de 100 commentaires et plus de 40 partages sur Facebook au 20 décembre, ce qui démontre une diffusion massive de cette information non vérifiée.
En commentaire, plusieurs internautes expriment leur scepticisme quant à l’affirmation avancée dans la publication. Certains soulignent des incohérences évidentes entre l’environnement d’Uvira et les images de la vidéo, remettant en question la plausibilité d’une fuite par avion depuis la brousse. « Fake news si ils sont en brousse comment ils peuvent quitter par avion? Il ya t il de terrain d'avion dans les brousses? », s’interroge un internaute, avant qu’un autre n’ajoute : « Donc il y a des tarmac en brousse chez nous à l'Est du pays ? ». Ces réactions montrent que, malgré la viralité de la vidéo, une partie du public demeure critique.
Vidéo d’un avion indonésien
Pour authentifier cette vidéo, Eleza Fact a commencé par identifier les indices visuels clairement visibles sur l’appareil filmé. Le premier élément notable concerne les inscriptions figurant sur l’avion, notamment les mentions NGA et PK-NGD, qui constituent des indices déterminants sur son origine.

Indices observés sur l’avion de la vidéo par Eleza Fact
NGA signifie Nasional Global Aviasi, une compagnie aérienne privée indonésienne basée à Tangerang. Cette entreprise est spécialisée dans les services de transport aérien à la demande, notamment les vols charter. Fondée en 2021, elle exploite une flotte variée composée d’hélicoptères et d’avions légers, tels que le Cessna 208B Grand Caravan, afin de répondre à des besoins logistiques, de transport de passagers et de missions spéciales à travers l’archipel indonésien. En 2025, NGA est reconnue comme un acteur dynamique du marché aérien domestique indonésien, mettant l’accent sur la flexibilité opérationnelle et le respect des normes internationales de sécurité, un indice supplémentaire confirmant l’origine de l’avion visible dans la vidéo.
Pour renforcer cette conclusion, un autre détail visuel est observable : le drapeau indonésien, clairement visible au-dessus de l’inscription NGA sur le fuselage de l’appareil, ce qui confirme davantage son appartenance à l’aviation civile indonésienne.

Drapeau de l’Indonésie visible sur l’avion de la vidéo, capture et montage faits Eleza Fact
Ensuite, l’immatriculation PK-NGD indique qu’il s’agit d’un aéronef civil enregistré en Indonésie. Cet identifiant correspond au préfixe de nationalité international attribué aux avions civils de ce pays, suivi de caractères uniques propres à chaque appareil. Le préfixe PK est officiellement reconnu par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) comme code de nationalité des aéronefs indonésiens. À titre de comparaison, le code de nationalité des aéronefs civils de la République démocratique du Congo est 9S, ce qui exclut toute possibilité d’un avion congolais dans cette vidéo.

Identification et enregistrement en Indonésie de l’avion capturés et mis en évidence par Eleza Fact
Par ailleurs, Eleza Fact a vérifié les itinéraires des vols effectués par l’avion PK-NGD le 12 décembre via le site FlightAware. Les données consultées montrent que l’appareil n’a effectué aucun vol en Afrique ni à proximité du continent africain ce jour-là. Au contraire, il a réalisé quatre vols distincts exclusivement dans la région de Papouasie, en Indonésie, ce qui invalide totalement l’hypothèse d’un déplacement lié aux événements d’Uvira.

Itinéraire de l’avion le 12 décembre selon Flight Aware, capture faite par Eleza Fact
Une vérification inversée vient confirmer l’ensemble de ces analyses. Grâce à Google Lens, il a été établi que la vidéo a été publiée sur la chaîne YouTube Airport Stories (archivée ici) le 28 novembre dernier, soit plusieurs jours avant l’occupation de la ville d’Uvira par le M23, prouvant ainsi que la séquence ne peut pas être liée aux récents événements sécuritaires dans l’est de la RDC.
Par ailleurs, des images de cet avion ont été publiées sur le compte Instagram mas_kentungs2 (archivé ici) dans un post datant du 21 novembre 2023. Ces publications identifient clairement l’appareil comme étant indonésien, confirmant une nouvelle fois qu’il n’existe aucun lien entre cette vidéo et la situation sécuritaire actuelle en République démocratique du Congo.
D’autres vidéos publiées sur TikTok par HerlyQuinn (archivé ici), sur YouTube par dakiususa7602 (archivé ici) ainsi qu’un article de Teras Papua (archivé ici) confirment sans ambiguïté que cet avion opère en Indonésie, consolidant ainsi l’ensemble des preuves recueillies.
Absence d’infrastructure aérienne à Uvira
Malgré son importance stratégique, commerciale et démographique, la ville d’Uvira ne dispose à ce jour d’aucun aéroport opérationnel ni d’aérodrome fonctionnel capable d’accueillir des avions civils. L’ancienne piste d’atterrissage locale (archivée ici) est restée impraticable pendant des décennies en raison du manque d’entretien et d’investissements, rendant toute opération aérienne régulière impossible. Cette situation oblige les habitants, les autorités et les organisations humanitaires à recourir à des alternatives, notamment l’aéroport international de Bujumbura, situé à environ 20 kilomètres au Burundi, ou l’aéroport de Kavumu à Bukavu, accessible par une route nationale souvent affectée par l’insécurité. En attendant d’éventuels projets de réhabilitation régulièrement réclamés par la population locale (archivé ici), le désenclavement d’Uvira repose essentiellement sur le port de Kalundu, sur le lac Tanganyika, et sur le transport routier.
Conclusion
La vidéo prétendant montrer la fuite des autorités politiques et militaires congolaises d’Uvira par voie aérienne est trompeuse. Les vérifications menées démontrent clairement que l’avion visible dans la séquence est un appareil civil indonésien, sans aucun lien avec la République démocratique du Congo ni avec la situation sécuritaire à Uvira. Les indices visuels, les données d’immatriculation, les historiques de vol et les recherches inversées confirment que la vidéo a été sortie de son contexte et utilisée pour diffuser une fausse information, susceptible d’induire le public en erreur dans un climat déjà marqué par des tensions sécuritaires. Il est important de vérifier l’origine et le contexte des contenus partagés sur les réseaux sociaux, en particulier lorsqu’ils concernent des questions de sécurité nationale.
