Contexte
Bintou Keita, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies et cheffe de la MONUSCO depuis février 2021, a quitté ses fonctions de manière anticipée à la fin du mois de novembre 2025, soit environ trois mois avant l’échéance officielle de la fin de son mandat prévue en février 2026. Les Nations unies ont précisé que ce départ relevait d’une décision strictement personnelle, sans lien avec d’éventuelles enquêtes internes ni avec des pressions politiques ou institutionnelles. Afin d’assurer la continuité de la mission en République démocratique du Congo, l’ONU a mis en place un dispositif intérimaire successif, confié d’abord à Bruno Lemarquis, puis à Viviane Van de Perre, en attendant la nomination d’un chef de mission permanent.
Dans ce contexte, un message attribué à Bintou Keita a circulé sur plusieurs groupes WhatsApp, dans lequel elle semblerait accuser les dirigeants congolais d’irresponsabilité, d’égoïsme et de prédation.
Eleza Fact a contacté la MONUSCO pour vérifier la véracité de ces propos et a consulté la dernière prise de parole médiatique de Bintou Keita. Les résultats ont démontré que ces affirmations ne sont pas les siennes.
Contenu du message diffusé
Le message a été retrouvé dans le groupe WhatsApp Radio Tayna – RTCT/Goma, qui compte plus de 300 membres. Il est attribué à Bintou Keita, ancienne Cheffe de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo, et est présenté comme un message privé adressé à l’un de ses collaborateurs congolais.
Le message complet se présente comme suit : « Message de Bintou Keita, Cheffe de la Mission Onusienne en RDC pendant 5 ans. Se confiant à l'un de ses collaborateurs congolais. Dans son message d'adieu en privé, ce haut fonctionnaire des Nations Unies déclare : j'ai rempli mon mandat dans un contexte très compliqué parce que le Congo est un pays solution sur lequel les yeux de toutes les grandes puissances sont braqués. Tant que les dirigeants de la RDC ne se mettront pas d'accord sur ce qu'ils veulent réellement de ce pays, il n'y aura pas de solution durable. Le problème du Congo DR, c'est sa classe politique corrompue, égoïste et prédatrice sans oublier son peuple qui accepte et tolère TOUT... Aucun pays sérieux n'enverra ses enfants pour mourir pour les Congolais qui passent leur temps dans les futilités pendant que leurs dirigeants s'enrichissent et pillent systématiquement leurs ressources. Il est temps que vous vous posiez de vraies questions pour espérer avoir les bonnes réponses. Chaque peuple mérite ses dirigeants, dit-on. »
Capture faite par Eleza fact du message dans le groupe Radio tayna - RTCT/Goma
Démenti de la MONUSCO
Dans le cadre de ses vérifications, Eleza Fact a contacté via WhatsApp Ndeye Khady LO, porte-parole de la MONUSCO, afin d’obtenir des précisions sur la véracité des propos attribués à l’ancienne Cheffe de la Mission, Bintou Keita.
La porte-parole de la MONUSCO a formellement démenti ces allégations en ces termes : « La MONUSCO dément formellement le message qui circule actuellement sur les réseaux sociaux et dans certaines messageries, présenté comme un « message d’adieu » de Mme Bintou Keita à l’un de ses collaborateurs congolais. Ce texte, qui lui prête des propos offensants à l’égard de la classe politique congolaise et du peuple congolais, est totalement faux. Mme Keita n’a jamais tenu de tels propos, ni par écrit, ni oralement, en privé ou en public.
Le ton et le contenu de ce faux message sont en totale contradiction avec les principes et les valeurs des Nations Unies, ainsi qu’avec la conduite qu’elle a toujours suivie dans l’exercice de ses fonctions. Tout au long de son mandat, elle a réaffirmé son respect pour la souveraineté de la RDC, son admiration pour la résilience du peuple congolais et sa volonté de travailler en partenariat avec les autorités congolaises et les acteurs nationaux ».
La MONUSCO a également tenu à mettre en garde contre la propagation de fausses informations, soulignant : « La MONUSCO appelle à la vigilance face à la diffusion de fausses informations susceptibles de tromper l’opinion et de porter atteinte à la réputation de la Mission et de ses responsables. Pour connaître les positions et déclarations de Mme Keita, seules les communications officielles des Nations Unies et de la MONUSCO font foi ».
Entretien de Bintou Keita à Radio Okapi : des propos officiels qui contredisent le message viral
Le dernier entretien de Bintou Keita (archivé ici), a été diffusé le 6 décembre 2025 sur la chaîne Youtube de Radio Okapi à l’occasion de la fin de son mandat après près de cinq années à la tête de la Mission. La durée de cet entretien était d’environ 19 minutes et 29 secondes, au cours duquel elle a fait le bilan de son passage en République démocratique du Congo et des actions de la MONUSCO.
Durant cet échange, Keita a souligné que la MONUSCO a joué un rôle majeur dans la protection des civils, affirmant que la mission « sauve des centaines de milliers de vies au quotidien » et en exprimant son espoir de voir une paix durable s’installer dans le pays, tout en reconnaissant les défis persistants sur le terrain. Ses propos ont mis en avant son respect pour le peuple congolais, sa résilience et l’importance du partenariat avec les autorités congolaises, ce qui contredit les allégations offensantes diffusées sur les réseaux sociaux.
Le faux propos, Un schéma de désinformation répandue en RDC
En République démocratique du Congo (RDC), l’attribution de faux propos à des autorités politiques, administratives ou internationales constitue un schéma récurrent de désinformation, largement amplifié par les réseaux sociaux tels que WhatsApp, Facebook et X (ex-Twitter). Cette tactique vise à semer la confusion, fragiliser la crédibilité des institutions et attiser les tensions politiques, ethniques ou sécuritaires.
Ce procédé a été observé lors des élections de 2023 et dans le contexte des conflits à l’Est du pays, où de faux propos ont été attribués à des responsables civils et militaires pour manipuler l’opinion.
Ce procédé relève de la désinformation intentionnelle (disinformation), distincte de la mésinformation involontaire, car il est souvent lié à des stratégies de guerre informationnelle, qui alimente la méfiance et l’instabilité sociale.
Bref
Eleza Fact a contacté le porte-parole de la MONUSCO, qui a formellement démenti ces allégations attribuées à Bintou Keita, accusant les dirigeants congolais d’irresponsables, d'égoïstes et de prédateurs. Il a appelé le public à se fier uniquement aux canaux officiels de la MONUSCO. Ensuite, la dernière prise de parole médiatique de Bintou Keita est une interview de 19 minutes accordée à Radio Okapi, dans laquelle aucun des propos qui lui sont attribués dans ce message n’apparaît. Résultat : ce message est faux. Il s’agit de propos fabriqués et faussement attribués à Bintou Keita.
Il est essentiel d’être toujours vigilant face aux messages attribués à des autorités dans les groupes WhatsApp. Vérifiez la crédibilité des personnes qui vous les envoient et confrontez les informations à des sources officielles avant de les partager dans d’autres groupes. La plupart des propos diffusés dans ce type de groupes sont souvent faux ou fabriqués de toutes pièces par des tiers.
