Contexte
Du 22 au 30 septembre, s’est tenue la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Comme chaque année, plusieurs chefs d’État y ont pris la parole pour présenter leurs priorités nationales et leurs positions diplomatiques. Le président américain Donald Trump, fidèle à sa ligne politique axée sur l’« Amérique d’abord », a prononcé un discours très attendu.
En ce mois de novembre, une vidéo présentée comme un extrait de discours dans lequel Donald Trump refuserait publiquement d’accorder une aide humanitaire à la RDC et accuserait le gouvernement congolais d’incompétence en raison d’une mauvaise gestion des fonds publics a circulé sur Facebook. La séquence affirme que Trump explique cette mauvaise gestion par les dépenses élevées des autorités congolaises, notamment les millions consacrés aux déplacements du président Félix Tshisekedi et à des projets de visibilité, tels que le partenariat avec le FC Barcelone.
Pourtant, après une vérification approfondie de l’authenticité de la vidéo via Google Lens et plusieurs outils spécialisés tels que Hive Moderation, DeepFake-o-meter et InVid We Verify, il apparaît clairement que la séquence a été manipulée à l’aide d’un système d’intelligence artificielle. Ces analyses croisées démontrent que les propos ne correspondent pas à un discours réel de Donald Trump.
Source de la vidéo
La vidéo provient d’une publication diffusée sur Facebook par la page Réussite du Pays, suivie par plus de 144 000 abonnés. Cette page partage régulièrement des contenus non sourcés liés à la politique et à la sécurité en RDC, contribuant ainsi à la propagation rapide de rumeurs et d’informations trompeuses.
« 𝗗𝗢𝗡𝗔𝗟𝗗 𝗧𝗥𝗨𝗠𝗣 𝗿𝗲́𝗽𝗼𝗻𝗱 𝗮̀ 𝗙𝗘́𝗟𝗜𝗫 𝗧𝗦𝗛𝗜𝗦𝗘𝗞𝗘𝗗𝗜, 𝗾𝘂𝗶 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗮𝗶𝘁 𝟮 𝗺𝗶𝗹𝗹𝗶𝗮𝗿𝗱𝘀 𝗱’𝗮𝗶𝗱𝗲 𝗤𝗨𝗘𝗟𝗟𝗘 𝗛𝗨𝗠𝗜𝗟𝗜𝗔𝗧𝗜𝗢𝗡 41 millions de dollars… Juste pour de la visibilité, c’est hallucinant ! Pendant que votre peuple souffre de la faim, c’est une honte. J’ai entendu la demande du Président Félix Tshisekedi, qui veut que les États-Unis envoient de l’aide humanitaire à la RDC. Mais laissez-moi être très clair : Non. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas sérieux. Vous ne pouvez pas venir demander de l’aide américaine alors que votre gouvernement dépense des millions pour du luxe et des spectacles. J’ai vu ça. 41 millions de dollars donnés au FC Barcelone, 41 millions ! Juste pour donner de la visibilité à un club. Incroyable ! Pendant ce temps, votre peuple a faim. C’est inacceptable. Et que dire des voyages du président ? Des millions d’euros dépensés pour des vacances de luxe, payées avec l’argent du peuple congolais. Et après ça, il vient à Washington demander de l’aide ? Désolé, mais ça ne marche pas comme ça. Les États-Unis ne vont pas donner d’argent à un gouvernement qui ne respecte pas son propre peuple. Si vous avez assez d’argent pour financer le FC Barcelone, vous avez assez d’argent pour nourrir vos citoyens. C’est aussi simple que ça. Le Congo est un pays extrêmement riche, avec de nombreuses ressources et un potentiel énorme. Mais la corruption est partout. Avant de demander quoi que ce soit, nettoyez d’abord votre gouvernement. Montrez du sérieux, de la responsabilité. Les États-Unis ne vont pas gaspiller l’argent des contribuables pour financer la mauvaise gestion d’un autre pays. Voici la vidéo où Trump dit clairement tout cela à Tshisekedi », déclare la légende associée à la vidéo.
Au 15 novembre, la publication avait déjà accumulé plus de 5 000 réactions, plus de 800 commentaires et avait été partagée plus de 7 000 fois sur Facebook. L’ampleur de cette diffusion témoigne de la rapidité avec laquelle les contenus manipulés peuvent toucher un large public.
Les commentaires sous la publication montrent une adhésion importante à la rumeur, beaucoup d’internautes prenant la vidéo pour authentique. Certains soutiennent même les propos falsifiés, comme cet utilisateur affirmant : « De fois ce type dit la vérité » (sans modification ni correction du texte). Un autre commente : « Si c'est vrai, Trump a raison, ce gouvernement est composé des avanturiers politiqu » (sans modification ni correction du texte).
La vidéo a également été relayée par Jean Serge Tshiben sur sa page Facebook. L’auteur accompagne la séquence d’un long texte à charge, utilisant un ton satirique et provocateur dans lequel il commente la politique congolaise. Une fois encore, la publication prend appui sur les mêmes propos pour critiquer la gouvernance actuelle.
« APRÈS ÉRIC ZEMMOUR… C’EST TRUMP QUI ENTRE DANS LA DANSE ! Et cette fois, ce n’est pas une rumba congolaise… c’est un tango international au savon noir ! Trump glisse, frotte, décape et gifle Félix Tshisekedi, le “gros bébé de la République” livré à la géopolitique mondiale sans manuel d’utilisation ni notice de réglage ! Quand le respect s’évapore, il faut savoir quitter la table avant que la table elle-même ne vous renverse. Il faut quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous expulse comme un intrus… avant que le peuple souverain, ulcéré, affamé, trahi… ne vous vomisse comme un vieux médicament périmé, trop amer pour être avalé une seconde fois », déclare la légende associée par Jean Serge Tshiben sur la vidéo.
Il convient de souligner que certains contenus publiés sur cette page ont déjà été identifiés comme fausses informations après vérification par Eleza Fact, ce qui confirme la nécessité d’une vigilance accrue.
Vidéo tirée de l’allocution de Donald Trump à l’Assemblée générale des Nations Unies
La recherche inversée menée via Google Lens par Eleza Fact a permis d’identifier la source réelle de la vidéo : un replay de l’allocution officielle de Donald Trump, datée du 23 septembre, publié sur la chaîne YouTube du Département d’État américain (archivée ici). En examinant attentivement les 56 minutes et 49 secondes de la vidéo, aucune séquence ne montre Trump critiquant la RDC ou refusant une aide humanitaire. Il y attaque principalement l’ONU, l’immigration mondiale et les politiques climatiques, tout en revenant sur sa vision des relations internationales. À 8 minutes et 20 secondes, il évoque le conflit entre le Congo et le Rwanda parmi les « sept guerres » qu’il dit avoir contribué à résoudre, mais sans formuler d’accusation contre le gouvernement congolais. Les déclarations virales ne figurent donc dans aucune version officielle du discours.
Le texte intégral du discours, publié sur le site du Département d’État américain (archivé ici), confirme également l’absence totale de propos liés à une prétendue mauvaise gestion des fonds publics en RDC. La transcription apparaît fidèle à la vidéo originale, ce qui élimine toute ambiguïté.
Une version traduite en français de cette allocution est disponible sur les chaînes YouTube de France 24 (archivée ici) et de BFMTV (archivée ici), et ne contient aucune allusion à ces accusations.
Un son généré par Intelligence Artificielle
L’analyse comparée entre la voix entendue dans la vidéo falsifiée et les mouvements de Trump révèle une incohérence évidente : les mouvements buccaux ne correspondent pas au rythme des paroles, et les expressions faciales ne suivent pas le ton du discours. La voix utilisée paraît monotone, mécanique et différente de la tonalité naturelle de Trump.
Pour confirmer ces observations, Eleza Fact s’est servi d’outils d’analyse synthétique tels que Hive Moderation, qui donne un score de 99,9% de probabilité que la vidéo ait subi une retouche artificielle, avec une précision de 99% indiquant que le son seul pourrait avoir été généré par intelligence artificielle. Ces résultats tendent à confirmer une falsification poussée, combinant altération visuelle et manipulation vocale.
Résultats des analyses de Hive Moderation capturés par Eleza Fact
Se servant de l’outil DeepFake-O-Meter, les résultats indiquent clairement que la vidéo a subi une retouche par IA, comme le montrent plusieurs détecteurs dont les scores dépassent largement le seuil d’alerte. AVSRDD (2025) affiche 99,7 %, un modèle conçu pour repérer les anomalies acoustiques fines et les patterns spectro-temporels artificiels typiques des voix synthétiques. LIPINC (2024) atteint 99,1 % ; ce détecteur s’appuie principalement sur l’analyse des incohérences linguistiques et phonétiques présentes dans le flux vocal lorsqu’il est produit par un modèle génératif. XCLIP (2022), avec 98,3 %, repose sur une architecture multimodale capable d’identifier des signatures statistiques laissées par les systèmes de génération audio, notamment dans la distribution des fréquences. Enfin, TALL (2023) conclut, à 100 %, un détecteur spécialisé dans la détection de traces résiduelles de synthèse, comme des transitions trop régulières ou une dynamique vocalique non naturelle. Le fait que ces détecteurs, chacun fondé sur des méthodes différentes, convergent vers des probabilités très élevées, renforce nettement la conclusion d’une manipulation artificielle.
Résultats des analyses de DeepFake-O-Meter capturés par Eleza Fact
Pour confirmer ces analyses, nous avons soumis le son de la vidéo à la vérification via InVid We Verify. L'outil a donné un score de 99% de probabilité que le son soit le fruit d’une intelligence artificielle, renforçant la certitude que l’enregistrement ne correspond pas à une intervention authentique de Zemmour. Les éléments audio détectés présentent une signature typique des voix synthétiques.
« Le score de la jauge représente le score de détection moyen du fichier analysé. Le graphique de gauche indique si le fichier est un composite contenant des fragments générés par l'IA. Il affiche le taux de détection par segments de 4 secondes sur toute la durée du fichier. Si nécessaire, vous pouvez découper le fichier autour des parties suspectes et les réanalyser pour améliorer éventuellement la précision de la détection », indique la légende associée aux résultats d’InVid We Verify. Cette précision technique permet de comprendre comment l’outil identifie les segments suspects et pourquoi la manipulation est considérée comme hautement probable.
Résultats des analyses de l’outil Hiya d’InVid We Verify capturés par Eleza Fact
Aide humanitaire américaine en RDC
Les États-Unis demeurent l’un des principaux contributeurs à l’aide humanitaire en RDC. En septembre dernier, le projet Tudienzele financé par USAID a été relancé pour améliorer la sécurité alimentaire, la résilience des communautés et les pratiques agricoles dans le Kasaï. Malgré ces initiatives, un rapport de l’ONU publié en novembre 2025 souligne que l’aide internationale reste insuffisante pour faire face à l’insécurité alimentaire aiguë qui touche plusieurs millions de Congolais.
Outre l’aide humanitaire d’urgence, les États-Unis financent également des programmes de développement à long terme visant à renforcer la santé publique, la nutrition, l’accès à l’eau et l’assainissement. Un rapport du Programme alimentaire mondial et du Cadre intégré pour la sécurité alimentaire publié en octobre 2025 insiste sur l’importance de ces programmes pour stabiliser les zones affectées par les conflits et la pauvreté chronique.
Parallèlement, Washington joue un rôle de premier plan dans la médiation entre la RDC et le Rwanda. À la suite du Democratic Republic of the Congo-Rwanda peace agreement signé en juin 2025 sous médiation américaine, plusieurs initiatives conjointes ont été lancées pour renforcer la sécurité et l’intégration économique. En novembre, un cadre d’intégration économique a été signé à Washington, préparant de nouvelles rencontres présidentielles destinées à superviser le désarmement des groupes armés et à assurer l’application du traité. Les États-Unis combinent ainsi diplomatie, médiation et soutien humanitaire dans le but de favoriser une paix durable dans la région des Grands Lacs.
Conclusion
L’analyse approfondie menée par Eleza Fact démontre que la vidéo attribuant à Donald Trump des propos hostiles envers la RDC est une fabrication reposant sur des outils d’intelligence artificielle. En combinant des images réelles tirées de l’allocution de Trump lors de la 80ᵉ Assemblée générale des Nations Unies et un son entièrement synthétique comme prouvé par les outils de détection des contenus générés par l’intelligence artificielle, les auteurs de cette vidéo ont créé une séquence trompeuse qui a largement circulé sur les réseaux sociaux, alimentant la désinformation et influençant l’opinion publique. Or, ni le discours officiel de Trump devant l’Assemblée générale des Nations Unies ni les archives publiées par les médias internationaux n’appuient ces allégations.
Dans un contexte où les technologies de manipulation audiovisuelle deviennent de plus en plus accessibles, cette affaire illustre l’importance cruciale de la vérification des sources et de la vigilance numérique. Elle rappelle également que la propagation de fausses informations peut fragiliser le débat public et perturber la perception des relations internationales, rendant indispensable le travail de vérification pour préserver la fiabilité de l’information.